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voir ce qu’il étoit besoin de faire là-dessus. Francion, ayant un peu songé, lui dit : Retournez-vous-en chez vous vitement, faites venir tous vos valets, et regardez s’il n’y en a point quelqu’un qui ait le pouce noir ; c’est celui-là assurément qui a couché avec votre fille. Il s’en retourne aussitôt, et, leur ayant regardé les mains à tous, vit qu’il n’y avoit que le berger qui eût le pouce marqué. Ah ! c’est donc toi qui as déshonoré ma maison, lui dit-il ; que l’on me le prenne, que l’on le mette en justice : il faut qu’il soit pendu. Quelle hardiesse d’avoir été violer la fille de son maître lorsqu’elle étoit endormie ! En disant ceci, il prit le berger au collet, et voulut que les autres valets le tinssent aussi, pour le mener en prison ; mais le berger lui dit : Ah ! mon maître, il est bien vrai que j’ai couché avec votre fille, je ne le puis nier : il est bien certain aussi qu’elle étoit endormie la première fois que je l’allai trouver, mais elle se réveilla après, et me laissa faire si paisiblement, que vous ne pouvez dire que je l’aie forcée, car l’on n’en force plus à son âge.

Comme il disoit ceci, la mère, l’oncle et la tante de la fille arrivèrent, qui, étant instruits de l’affaire, conseillèrent ce père courroucé de s’apaiser, lui remontrant que les mariages se font au ciel avant que de se faire en la terre, et que sans doute il avoit été ordonné que ce berger épousât sa fille, qu’il étoit honnête garçon et qu’il les falloit marier ensemble pour réparer la faute, si faute y avoit. La chose alla si loin, que l’accord en fut passé dès le jour même, au grand contentement des parties ; et le père, se représentant les admirables inventions que le charlatan lui avoit apprises pour reconnoître celui qui avoit dépucelé sa fille, se proposa de le bien remercier et de le bien récompenser.

Tandis que toutes ces choses arrivèrent, la science de Francion eut encore un autre effet. Son hôte, qui voulut éprouver la chasteté de sa femme, cherchoit ce qu’il ne désiroit pas trouver. Il ne manqua pas de suivre son conseil en se couchant : Vous ne sçavez pas, m’amie, dit-il à sa femme, j’ai appris tantôt d’étranges nouvelles. Eh quoi ! répondit-elle, n’y a-t-il pas moyen de le sçavoir ? Non, ce dit-il, vous êtes trop babillarde. Eh, ma foi, reprit-elle, je jure que je n’en parlerai point. Me faut-il celer quelque chose ? Vous ne m’aimez guère. Ah ! Dieu, dit-il, cela est étrange : c’est ce charlatan.