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eux de faire mettre les bourgeois en armes, pour prévenir le malheur qui pouvoit arriver. L’on leur avoit fait commandement par les quartiers de se rendre en leurs corps de garde ; si bien que tout étoit en rumeur. Le gouverneur étoit sorti alors plus fort et mieux accompagné que devant, pour sçavoir à quel sujet l’on s’assembloit ainsi sans qu’il l’eût commandé. Si l’on n’eût retenu la fureur du peuple, parmi lequel le faux bruit d’une trahison couroit, il se fût jeté dessus lui et l’eût mis en pièces. Le goutteux, pour l’exciter à ce faire, s’étoit fait mettre à sa fenêtre, où il se tuoit de crier : Liberté, messieurs, pendez ce méchant qui nous veut vendre. Mais la voix des sages, ayant plus d’efficace que la sienne, lioit les mains des personnes les plus mutines. On parla au gouverneur, qui ne témoigna rien que de l’affection au public ; néanmoins les caporaux, qui rôdoient encore autour de leur quartier, achevoient d’avertir tout le monde de se mettre en armes, voulant que chacun eût sa part de la corvée. Il en étoit venu un à la maison du marchand, comme nous avons dit.

Tandis le gouverneur, qui avoit entendu la voix séditieuse du goutteux et avoit appris sous main que c’étoit lui qui avoit allumé le feu de toute cette ligue, s’étoit résolu de l’envoyer querir pour le châtier comme il méritoit. Cette commission avoit été donnée à deux de ses gens, qui avoient été à son logis lui dire que leur maître, sçachant qu’il étoit de bon sens et de grand conseil, désiroit qu’il s’en vînt par devers lui pour lui aider à mettre ordre aux émotions populaires. Il n’en vouloit rien croire du commencement ; mais, à la fin, ils lui en firent des sermens si sérieux, que, s’imaginant que le gouverneur ne sçavoit rien des choses qu’il avoit dites à l’encontre de lui, il crut qu’il se pouvoit faire qu’il eût été fort aise d’être assisté de ses avis. Considérant alors le bien et l’honneur qui lui en adviendroient, il se délibéra de ne point refuser son accointance. Il avoit donc permis que les deux hommes le missent sur une chaire à bras qu’ils avoient apportée à son occasion, et il se laissoit mener de bon gré au lieu où autrement l’on ne l’eût mené que de force. Il avoit déjà fait beaucoup de chemin, lorsqu’un homme vint aborder ceux qui le portoient, et dit tout bas à l’oreille de l’un : M. le gouverneur n’est plus à l’endroit où il étoit tantôt ; il est