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leur maîtresse ne fut pas sitôt entrée, qu’ils lui levèrent la chemise et commencèrent à la fesser plus fort que le plus rude bourreau du monde ne fouette un coupeur de bourse qui ne lui a point promis d’argent pour être doucement traité. Sentant qu’il y en avoit plusieurs qui la persécutoient de cette sorte, elle n’osoit parler en façon du monde, de peur d’être reconnue et de honte qu’elle avoit d’être surprise en flagrant et impudique délit ; à la fin, parce que l’on continuoit toujours de la travailler de la même sorte, et que tout son corps étoit piteusement déchiqueté, elle ne se put tenir de crier à l’aide et au meurtre. Son mari s’éveille à ce bruit, et, tout assoupi qu’il est, ne sçachant d’où c’est que vient la voix, il sort par une autre porte que celle qu’elle avoit fermée, et s’en va dedans sa cour voir ce que l’on y fait. Tandis Francion, ayant pitié d’elle, tire le porcher par le bras pour lui faire entendre que c’est assez fouetté. Il la laisse donc, et son compagnon aussi. Elle va rouvrir la porte de sa chambre et se recouche comme auparavant. Son mari, ayant vu qu’il n’y avoit personne dans la cour, rentre dans le logis, et s’avisant que, possible, le bruit qu’il avoit entendu étoit venu de la chambre de son berger, il s’y en va tout doucement pour sçavoir s’il dort. Les deux compagnons, qui tenoient encore leurs armes en main, jugèrent que c’étoit aussi un esprit, et, l’ayant pris par les bras, commencèrent à le fouetter si fermement, qu’il entra en une colère extrême, et, se délivrant de leurs mains, leur donna des coups de poing avec une verte atteinte. Ils s’imaginèrent aussitôt qu’un si rude joueur ne pouvoit pas être un homme mortel, mais que c’étoit véritablement un esprit ; de sorte qu’ils essayèrent d’éviter sa rencontre, et s’en allèrent cacher à la ruelle du lit, où ils eussent bien été trouvés si c’eût été ce qu’ils pensoient. Où êtes-vous ? dit le laboureur à Francion. Ah ! mon Dieu, répondit-il de sa couche, sortez vitement : il y a ici des esprits qui ne font que me tourmenter. Il s’en alla aussitôt avec une grande peur, croyant ce que son berger lui disoit, et verrouilla très-bien sa porte ; puis s’en alla coucher auprès de sa femme, qui faisoit la dormeuse et feignoit de n’avoir rien entendu. Il lui conta comment il avoit été fessé par des esprits qui s’étoient évanouis en un moment. Elle fut bien aise de ce qu’il en avoit eu sa part aussi bien qu’elle, et ce lui fut une espèce de