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d’elle s’il ne se fût un jour avisé de lui dire en secret, après avoir joué du luth, qu’il sçavoit jouer d’un autre instrument qui ravissoit bien davantage, mais qu’il n’en vouloit pas faire entendre l’harmonie à tout le monde. Elle, qui se plaisoit en ses chansons, le supplia instamment de lui faire ouïr quelque jour cette rare musique. Je le veux bien, dit-il, pourvu que vous n’en parliez à personne ; car je ne désire pas encore faire paroître tout ce que je sçais. Venez-vous-en demain à la caverne des saules, vous m’y trouverez sans faute avec mon instrument, que je n’oublierai pas d’apporter. La brunette, plus contente que si l’on lui eût offert un grand trésor, ne faillit pas d’aller le jour d’après au lieu qu’il lui avoit désigné, lequel étoit des moins fréquentés de la contrée. Eh bien, dit-elle, me tiendrez-vous promesse ? Oui, répondit-il, j’y suis tout prêt. Alors elle s’assit proche de lui, et, l’ayant prié de lui montrer son instrument et d’en jouer, il lui dit ainsi : Ma bonne amie, jamais vous ne vîtes chose si miraculeuse que ce que je fais pour produire ma mélodie. Pour ne vous rien celer, je n’ai point d’instrument qui soit fait de bois ni de corne : l’harmonie ne provient que des membres de mon corps, qui la produisent tous ensemble. La fille s’imagina alors qu’en faisant certaines postures et en se remuant de quelque sorte il avoit l’industrie de faire craqueter ses os, si bien qu’ils rendoient quelque son, ou bien qu’il frappoit ses mains sur les autres membres pour les faire claquer. Mais elle apprit bientôt qu’il y avoit bien autre chose à faire ; car il lui dit : Puisque vous voulez avoir du plaisir, il faut que vous preniez aussi un peu de peine. Je ne sçaurois exercer mon artifice tout seul, il faut que vous m’aidiez, s’il vous plaît. Montrez donc ce qu’il faut que je fasse, dit la brunette. À l’instant Francion l’embrasse et la baise à son plaisir, puis il tâche de faire le reste. Ah ! mon Dieu, disoit-elle, vous me faites mal ; laissez-moi là. Patience, dit Francion ; achevons, puisque nous avons commencé ; l’issue sera meilleure que l’entrée. Elle se pâme de plaisir à l’heure, goûtant je ne sçais quelle douceur extraordinaire. Après, voyant que Francion se retire, elle lui dit : Eh quoi ! est-ce déjà fait ? Vous n’avez guère mis. Ah ! ma mignonne, j’avois bien prédit qu’il ne vous ennuyeroit point, et que vous voudriez que la mélodie durât toujours. Aussi vrai oui, dit la fillette ; votre musique