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s’il s’en est allé sans son train, c’est qu’il n’a pas voulu faire paroître l’envie qu’il avoit de se départir d’auprès de vous, craignant, possible, d’être encore retenu au préjudice de ses affaires. Il y a de l’apparence en ceci, car il m’a fort recommandé de dire à ses gens qu’ils rebroussent chemin pour le rattraper sans bruit. Après avoir dit cette menterie à Nays, il s’en alla la dire aussi à l’écuyer de Francion, et le fit partir avec tous les autres serviteurs pour aller après son maître.

Nays eut toutes les afflictions du monde de la soudaine fuite de celui qu’elle chérissoit tant. Ah ! combien de fois se repentit-elle de lui avoir témoigné de la rigueur, car elle s’imagina que c’étoit la cause de son éloignement ! Maudits hommes, dit-elle en parlant de Valère et d’Ergaste, si vous ne m’eussiez point persécutée par vos poursuites, je n’eusse pas été contrainte de traiter si cruellement celui dont la moindre action méritoit des faveurs infinies. Que puissiez-vous être punis du mal que vous me faites souffrir ! N’espérez pas que je vous fasse jamais bon visage : je serai dorénavant envers vous la plus fière que l’on vit jamais. Elle l’exécuta comme elle disoit ; mais, si elle eût sçu la trahison de ces deux seigneurs, elle se fût bien efforcée de les traiter plus cruellement. À la fin, elle arrive à la maison ordinaire, où elle témoigne de plus en plus son indignation, et donne charge à son infidèle valet d’aller chercher Francion en quelque endroit qu’il puisse être, et de lui donner de sa part une lettre, où elle lui remontroit pour quelle occasion elle ne l’avoit pas traité selon son mérite, et le prioit couvertement de venir au lieu où il avoit eu autrefois envie d’aller. Ce courrier part pour faire sa charge, et prend le chemin de France, où il sçait bien qu’il ne trouvera pas Francion. S’étant promené un peu, il revient, et, auparavant que d’aller voir sa maîtresse, il passe par la maison d’Ergaste, auquel il demande ce qu’il lui convient faire. Ergaste, croyant que Nays n’a jamais vu de l’écriture de Francion, fait écrire une lettre toute telle, que si elle fût venue de sa part, par laquelle il lui mande entre autres choses que les délices de la France lui ont fait oublier celles de l’Italie, et qu’elle ne se doit pas attendre de l’y voir jamais, vu qu’il n’y a rien qui l’y puisse appeler. Nays, ayant reçu cette lettre, nomme mille fois Francion ingrat et mal courtois de lui écrire de telles choses ; mais, étant sortie de