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côté se tournera la fleur du souci : l’on sçait bien que c’est sa nature de se tourner toujours vers le soleil ; l’on ne doit pas douter aussi non plus que je ne suive vos beaux yeux, les soleils de mon âme, en quelque part qu’ils veuillent donner le jour. Si vous allez en Italie, j’irai ensuite ; si vous demeurez en France, j’y demeurerai aussi. Nays fut très-aise d’entendre la délibération de ce gentil cavalier, dont la compagnie lui étoit de beaucoup plus plaisante que celle d’Ergaste et de Valère.

Le lendemain, elle voulut reprendre le chemin de son pays, et ses trois amans, en étant avertis, firent dresser leur équipage et la vinrent accompagner ; de sorte que, la voyant marcher avec un si grand train, l’on ne l’eût pas prise pour moins que pour une grande reine. Il y avoit bien de la jalousie entre les Italiens et le François, car elle faisoit bon visage à celui-ci et tenoit fort peu de compte des deux autres. Bien souvent elle permettoit qu’il entrât dedans son carrosse, et s’amusoit à discourir avec lui de différentes choses, où Francion connoissoit toute la vivacité de son esprit, qui, par la lecture des bons livres, s’étoit garanti des ténèbres de l’ignorance. Il avoit un contentement non pareil, quand il considéroit qu’il ne se pouvoit repentir d’avoir perdu sa franchise, vu la beauté de sa prison. Cependant ses rivaux, marris de la faveur qu’il recevoit, alloient tantôt devant et tantôt derrière, et le plus souvent fort loin du carrosse de leur maîtresse, pour témoigner quelque sorte de dédain réciproque : néanmoins, par les villages où ils passoient, ils ne tenoient pas tant leur gravité qu’ils ne se logeassent le plus près d’elle qu’il leur étoit possible. Francion souhaitoit passionnément de leur donner quelque cassade[1], pour les punir de la témérité qu’ils faisoient paroître, logeant leurs affections au même lieu que lui.

Il communiqua son dessein à un valet de Nays, dont il s’étoit acquis l’amitié, et le pria de l’assister. Cet homme-ci, fort obligeant, lui promit de faire pour lui tout ce qui seroit en sa puissance ; puis après, selon ses préceptes, il s’en alla trouver Valère, et lui dit que Nays étoit vaincue par la peine qu’il prenoit à la servir, et qu’elle ne demandoit pas mieux que de jouir de son entretien, mais qu’elle ne le pouvoit

  1. Expédient imaginé pour se jouer de quelqu’un.