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meur étoit si courtoise et discrète, qu’elle eût fait conscience de maltraiter un homme qui se donnoit tant de travail à son sujet.

Il y avoit si peu de logis bien commodes dedans le village, que Nays, Francion et Valère, avec leur train, suffisoient à les remplir. Ergaste ne put trouver de demeure aussi grande comme il la lui falloit ; il alla se loger en une bourgade qui étoit à une lieue de là. Les deux amans, qui se tenoient toujours auprès de Nays, furent bien aises de voir éloigner leur rival, qui étoit le plus importun et le plus opiniâtre de tous les autres en sa poursuite, d’autant qu’il avoit des richesses égales à celles de sa maîtresse, et croyoit qu’à cause de cela elle le devoit prendre pour mari.

Francion, pour dissiper l’ennui qu’il avoit, s’imaginant qu’il n’auroit pas peu d’obstacle en ses amours, s’en alla se promener vers la fontaine où l’on prenoit les eaux médicinales. Il vit des diversités qui mirent pour un temps son esprit hors de toute fâcheuse pensée. D’un côté il apercevoit des hommes qui en buvoient plein de grands verres de quart d’heure en quart d’heure, et d’autres qui ne faisoient autre chose que pisser. Il y avoit aussi des dames qui, par intervalles, étoient bien aussi contraintes de vider leurs vessies. Entre toutes ces personnes-là il y en avoit fort peu qui eussent une maladie fort grande et visible ; la plupart ne venoient aux eaux que par curiosité ou par délicatesse : il y avoit même des femmes qui venoient pour trouver le moyen de faire leurs maris cocus. Néanmoins Francion disoit : Nous avons tort d’occuper la place de tant de personnes affligées qui ne sçavent où se loger parce que nous avons pris les meilleures hôtelleries ; il leur faut céder le lieu, c’est la raison. Qu’avons-nous à faire ici ? Si l’on peut remarquer que nous ne prenons point des eaux, l’on se doutera que nous avons quelque plaisant dessein. Si Nays me veut croire, elle s’en retournera, puisqu’elle n’a plus que faire d’attendre ici Floriandre ; aussitôt nous ne manquerons pas à la suivre.

Ayant fait en lui-même ce discours, il s’en alla encore voir Nays, de qui il sonda la volonté, qu’il trouva toute disposée à quitter un pays où elle n’avoit plus rien qui la dût retenir. Elle lui demanda sur ce propos quelle voie il étoit résolu de prendre, et il lui répondit : Il n’est non plus raisonnable de s’enquérir quel chemin je tiendrai que de s’enquérir de quel