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afin qu’il perdît la mémoire de cette nonpareille beauté, qui n’est point portée à lui vouloir du bien, et qui causera sa mort, s’il songe toujours à elle, comme il a fait par ci-devant.

Après avoir tenu quelques autres discours là-dessus, Francion remercia ce gentilhomme des nouvelles qu’il lui avoit apprises, et s’en alla dîner où l’on l’attendoit ; et après cela il ne se donna point de repos qu’il ne fût au village où étoit la fontaine dont tant de malades alloient boire de l’eau. Quand il fut arrivé sur la pointe du jour, il sçut que Nays y étoit avec Valère, ainsi que l’on lui avoit dit. Il apprit le logis où elle demeuroit, et passa par devant en bon équipage, comme elle s’étoit mise à la fenêtre pour prendre la fraîcheur. Il vit cette beauté, qui lui sembla aussi merveilleuse que celle de son portrait, où il lui étoit avis même que le peintre avoit oublié beaucoup d’attraits ; Nays, l’apercevant aussi, fut soigneuse de s’enquérir qui il étoit, d’autant qu’elle n’avoit guère vu de seigneurs qui en un tel voyage eussent des gens si bien couverts. Personne de chez elle n’en sçachant rien, elle fut contrainte de commander à un de ses estafiers de s’informer des gens de Francion du nom de leur maître ; il s’adressa à un laquais, qui, comme tous les autres, avoit charge de dire qu’il s’appeloit Floriandre ; d’autant que Francion, contre son premier avis, s’étoit délibéré de suivre à tout hasard le conseil de Dorini, pour tenter la fortune au premier coup. À cette nouvelle, le cœœur tressaillit à Nays, s’imaginant que celui, pour qui elle soupiroit, étoit arrivé en ce pays-là, selon ce que l’on lui avoit mandé.

Elle n’avoit pu assez considérer Francion comme il avoit passé, si bien qu’elle ne sçavoit s’il étoit semblable ou non au portrait qu’elle avoit de Floriandre. Elle brûloit d’envie de le voir et ne sçavoit comment faire pour y parvenir. Le pis étoit, à son opinion, qu’elle n’avoit point Dorini en sa compagnie. Cela la mettoit au désespoir, songeant qu’elle n’avoit personne qui fût capable de s’entremettre de son affaire, qu’elle ne croyoit pas pouvoir concerter elle-même, vu qu’elle étoit étrangère et ne sçavoit pas trop bien les coutumes de France. Enfin elle se résolut néanmoins d’accomplir ses désirs, lorsqu’elle auroit tant fait que son amant seroit obligé, par les règles ordinaires, de la venir visiter. Elle menoit Va-