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elle a trouvé parti. Au reste, je vous conjure de quitter votre humeur taquine, comme n’étant venu ici que pour ce seul sujet. Je vous faisois accroire que j’avois envie d’être ici longtemps, et de vous faire beaucoup de dépense ; mais ç’a toujours été mon intention de partir à ce matin, et tout ce que j’ai dit n’a été que pour éprouver si votre avarice étoit aussi grande que l’on me l’avoit figurée.

Après cela, Francion lui remontra encore plus naïvement la laideur de son vice, de sorte qu’il en eut horreur, et se résolut à le quitter, pour embrasser la vertu contraire, de laquelle on lui faisoit espérer que tous les biens du monde lui aviendroient ; et principalement celui de se voir honoré et chéri de beaucoup de personnes à qui il feroit plaisir, et d’être désormais estimé véritablement noble. Il promit aussi qu’il marieroit sa fille à celui qu’elle avoit élu pour serviteur, tellement que, le jour étant venu tout à fait, Francion sortit en bonne amitié de sa maison, pour aller au lieu où il avoit tant de désir de se trouver. Il faisoit tout ce qui lui étoit possible pour rendre son voyage utile à plusieurs choses en même temps ; et, comme nous avons vu jusqu’à cette heure, il ressembloit à ces chevaliers errans, dont nous avons tant d’histoires, lesquels alloient de province en province pour réparer les outrages, rendre la justice à tout le monde, et corriger les vicieux. Il est vrai que ces procédures n’étoient pas si sanglantes, mais elles en étoient plus estimables. Toutefois sa vie eut encore du mélange depuis, et les plus réformés ne trouveront pas qu’elle ait toujours été fort propre à retirer les autres du vice ; mais quiconque pourra mieux vivre le fasse. Notre histoire n’y apporte pas d’empêchement. Il faut sçavoir le bien et le mal, pour choisir l’un et laisser l’autre. Nous allons encore voir ici des choses que les meilleurs esprits ne condamneront point, et ne les tiendront que pour de petites amourettes, encore assez indifférentes.

Il étoit environ midi lorsque, passant par un beau bocage, il eut envie de se reposer à l’ombre, auprès d’une fontaine qui étoit au milieu. Il envoya tous ses gens en un village prochain, pour y faire apprêter à dîner, et ne retint que son suivant, qui s’éloigna un peu de lui, cependant qu’il se coucha sur l’herbe, et qu’il tira hors de sa pochette le portrait de Nays. On dit que, se laissant aller alors aux imaginations