Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/352

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’inquiétudes agitoient son esprit. Il ne faisoit que songer à ce que lui avoit dit sa femme ; et quelquefois il se laissoit tellement emporter à la défiance, qu’il croyoit que Francion fût un voleur, qui eût entrepris de dérober tout ce qui étoit en sa maison. Dès demain je ne manquerai pas à envoyer querir le prévôt des maréchaux et tous ses archers, pour prendre ce compagnon-ci, disoit-il en son transport : il sera attrapé comme un moineau dans le trébuchet. Mais, bon Dieu ! que je suis sot de penser être plus fin que ce maître matois : il a par aventure fait sa main dès cette heure, et s’en est fui. Ah ! misérable, me voila ruiné ! Je n’y sçaurois remédier en façon quelconque. Comme il étoit sur la fin de ce discours, sa fille et son serviteur, venant à s’embrasser, donnèrent de telles secousses à la couchette, qu’il l’entendit bien. Il ne sçavoit pas que c’étoit elle qui étoit couchée là, ayant laissé tout exprès la chambre ordinaire au valet de chambre de Francion, qui lui servoit de gentilhomme : et d’autant qu’il y avoit là dedans un coffre, où il avoit serré ses plus beaux habits, il s’imagina que le bruit qu’il oyoit procédoit de ce que ses hôtes tâchoient de le rompre ou de l’ouvrir pour le vider. Il prêta l’oreille attentivement, mais enfin il n’entendit plus rien du tout. Alors, je ne sçais par quelle révolution de fantaisie, perdant les pensées qu’il avoit eues, il s’accusa d’être trop soupçonneux ; et, croyant qu’il n’avoit rien ouï que par imagination, il dit en soi-même qu’il étoit un mauvais homme de prendre pour un larron un seigneur qualifié.

Néanmoins il ne put pas goûter du repos, et étant sorti doucement de sa chambre il s’en alla voir si toutes les portes de son château étoient bien fermées, et si chacun dormoit dedans le logis. Rien ne put empêcher qu’il n’eût mille frayeurs se trouvant dans sa cour : d’abord il lui sembloit qu’il voyoit des hommes descendre d’une fenêtre par une échelle, et à tous coups il se retournoit pour regarder s’il n’y en avoit point quelqu’un derrière qui fût prêt à le tuer. À la fin, ayant reconnu que son jugement étoit trompé par des illusions, il reprit le chemin de sa chambre, où il ne fut pas sitôt entré qu’il ouït le même bruit d’auparavant. Connoissant qu’il ne s’étoit point déçu, et qu’il ne rêvoit point alors, il s’approcha de la muraille, et écouta attentivement ce que l’on pouvoit faire en l’autre chambre. Le jeune amant, qui