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toutes ces raisons, l’hôtesse demeura en son opiniâtreté première, et Francion, poursuivant, lui dit que, si elle ne se le laissoit faire, il commanderoit à tous ses gens de la tenir les uns après les autres par les bras, tandis que Robin accompliroit son désir. Et, de fait, il la prit lui-même et la jeta sur un lit, puis il commanda à Robin de commencer l’affaire. Il se montra fort prompt à obéir, après que le chevalier eut chassé ses serviteurs et fut demeuré seul dans la chambre. Mais l’on dit qu’aussitôt Francion lui fit faire suspension d’armes, et voulut voir s’il étoit bien fourni de tout ce qui lui étoit nécessaire. Les médisans assurent qu’après cela il leur fit recommencer le duel et leur donna des préceptes d’amour. Vous n’en croirez que ce qu’il vous plaira : il vous suffit d’apprendre qu’il jugea qu’ils n’avoient point de sujet de se mécontenter l’un de l’autre, sans que je vous parle de l’érection, de l’intromission et de l’éjaculation, qui sont des mots qui sentent plutôt la cour d’Église que la cour du Louvre. L’hôtesse avoit une sœœur à marier, et l’on alloit chantant par le village qu’il falloit qu’elle prît un mari à l’épreuve, puisque celle-ci y avoit été trompée. Mais il ne falloit point prendre garde à toute cette médisance.

Voilà tout ce que nous avions à dire de libre dans ce livre-ci : êtes-vous fâché de l’avoir vu, messieurs les lecteurs ? Les contes que l’on y trouve ne sont point si méchans, qu’ils soient faits à dessein de vous enseigner le vice : au contraire, nous avons dessein de vous le faire haïr, en vous mettant devant les yeux le mauvais succès des vicieuses entreprises. En tout cas, l’on sçait bien que ceci n’est pas fait pour servir de méditation à un religieux, mais pour apprendre à vivre à ceux qui sont dans le monde, où tous les jours l’on est forcé d’entendre beaucoup d’autres choses : car quels forfaits ne viennent point à la connoissance des gens de justice, et comment peut-on empêcher que l’on n’en parle dans toutes les compagnies ? Que si mes excuses ne servent de rien et que vous ne trouviez rien dans ce livre qui vous plaise, qui que vous soyez, lecteurs, ne le lisez pas deux fois ; aussi bien n’est-ce pas pour vous que je l’ai fait, mais pour mon plaisir particulier. Ne l’achetez point si vous ne voulez, puisque personne ne vous y force. Que si vous l’avez et qu’il vous déplaise entièrement, jetez-le au feu ; et, s’il n’y en a qu’une partie désagréable,