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ce pays, et les plus dignes de votre compagnie. L’un est le seigneur Dorini, Italien, dont je vous ai déjà parlé, et pour les autres, vous les connoîtrez assez. Il faut que nous fassions tous ensemble une merveilleuse chère. La haine que j’ai témoigné de vous porter n’a été que pour vous rendre maintenant plus savoureux les fruits de l’amitié que j’ai pour vous. J’avois tant de bonne opinion de la constance de votre âme, que je sçavois bien que les assurances que l’on vous donneroit de votre mort ne vous causeroient point de maladie. D’ailleurs, j’étois contraint de ce faire, pour m’exempter de vous aller voir, et vous faire tenir encore au lit, afin que j’eusse la commodité d’apprêter, à votre desçu, ce qui m’est nécessaire pour essayer de vous faire passer quelque temps en une joie parfaite.

Francion lui répondit qu’il s’étoit bien toujours douté qu’il n’avoit pas tant de mauvaise volonté pour lui que l’on lui disoit ; et, là-dessus, ils se firent encore des complimens pour s’assurer d’une éternelle affection l’un envers l’autre.

Voilà ce qui se passa entre Raymond et Francion, et, en effet, Raymond avoit raison de promettre qu’ils feroient une terrible chère ; car il ne s’en voit guère de semblable à celle qu’il s’étoit proposée, et même leur débauche fut encore plus grande qu’il ne s’étoit imaginé. C’est pourquoi, ô vous, filles et garçons qui avez encore votre pudeur virginale, je vous avertis de bonne heure de ne point passer plus outre, ou de sauter par-dessus ce livre-ci, qui va réciter des choses que vous n’avez pas accoutumé d’entendre. L’on me dira que je les devois retrancher ; mais sçachez que l’histoire seroit imparfaite sans cela ; car, en ce qui est des livres satiriques comme celui-ci, il en est de même que du corps des hommes, qui sont le but de la haine et de la moquerie, quand ils sont châtrés. J’ai déjà fait connoître qu’ayant entrepris de blâmer tous les vices des hommes et de me moquer de leurs sottises, il falloit écrire beaucoup de choses en leur naïveté, afin de les rendre ridicules par eux-mêmes. Il n’y a rien pourtant de si étrange que les mondains n’en disent pas beaucoup davantage. C’est pourquoi nous passerons outre à tout hasard, et nous considérerons que tout cela se fait sans aucun mauvais dessein, et pour passer gaiement quelques heures.