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chanceté, il ne la laissera pas impunie. Comme il finissoit ce discours, l’on lui mit à l’entour du col une chaîne de diamans et un chapeau sur la tête, dont le cordon étoit aussi de pierreries de beaucoup de valeur. Je pense, dit-il, que l’on veut observer la coutume des anciens Romains, qui entouroient de belles guirlandes les victimes qu’ils alloient sacrifier : vous me mettez ces riches ornemens pour me conduire à la mort : qu’ai-je affaire de tout cet attirail ? Étant tout accommodé, l’on lui dit qu’il allât où l’on le mèneroit. Il s’y accorda, se délibérant d’empoigner la première chose de défense qu’il trouveroit, pour résister à ceux qui viendroient lui faire quelque mal ; car il n’avoit pas envie de se laisser mettre à mort sans donner auparavant beaucoup de témoignages d’une insigne vaillance.

En cette résolution il sortit de sa chambre, avec un visage aussi peu ému que s’il eût été à un banquet. Je ne pense pas que Socrate, étant en une pareille affaire, eût eu l’âme de beaucoup plus constante. Il passa avec ses conducteurs par dedans des galeries et des chambres, et prêta l’oreille pour ouïr un air qu’il avoit composé autrefois, lequel on chantoit en un lieu prochain ; il y avoit ainsi à la reprise :

La jeune Belize est pourvue
D’une beauté pleine d’appas ;
Mais, bien que Francion l’ait vue,
Je pense qu’il n’en mourra pas.

Cela lui fut un bon présage, et, lui ayant fait juger que son trépas n’étoit pas si prochain, il songea à la voix qu’il avoit ouïe, et lui fut avis qu’il en avoit souvent entendu une pareille ; mais il ne se pouvoit souvenir en quel endroit. Enfin voici Collinet, le fol de Clérante, qui vient encore en chantant au-devant de lui, et lui accolle la cuisse, avec des témoignages d’affection nonpareils : Mon bon maître, dit-il, où avez-vous toujours été ? Il y a longtemps que je vous cherche, il faut désormais que nous nous réjouissions ensemble. Francion, fort étonné qui avoit amené là Collinet, le fit retirer modestement, sans rire d’aucune de ses bouffonneries, et lui dit qu’il parleroit une autre fois à lui. Étant arrivé à la porte de la grande salle, il vit au-dessus un cartouche entouré de