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le faire devêtir, et moi, je m’en retournai cependant à Paris pour faire panser ma plaie. Je rapportai à Clérante ce qui m’étoit avenu, qui le publia au désavantage de Bajamond ; et il dit même la bonne cause que j’avois, vu que ce comte m’avoit voulu faire assassiner par la plus grande trahison du monde pour un sujet fort petit. Le roi en sçut des nouvelles et en fit beaucoup de réprimandes à Bajamond. Il n’y eut pas jusqu’à notre fol de Collinet[1] qui ne lui dît qu’il avoit un extrême tort.

D’un autre côté, l’on fit beaucoup d’estime de moi, je le puis dire sans présomption, et l’on loua la courtoisie dont j’avois usé envers mon ennemi, ne le voulant pas tuer lorsque je le pouvois faire, encore que les offenses que j’avois reçues de sa part m’y conviassent ; aussi falloit-il certes que j’eusse beaucoup d’empire sur mon âme pour l’empêcher de se laisser mener par les impétuosités de la colère. Je m’acquis alors en partie, pour cette occasion, la bienveillance de Protogène, qui est un des plus braves princes de l’Europe : il n’y avoit rien en moi qu’il n’estimât ; il trouvoit très-bons les discours que je faisois en sa présence, et me donnoit la licence de parler, soit en bien ou en mal, de qui je voudrois, sçachant bien que je ne blâmerois personne qui ne méritât de l’être. Je fis une fois courir une satire que j’avois faite contre un certain seigneur dont je ne mettois pas les qualités ni le nom. Il y en eut un autre qui s’imagina que c’étoit pour lui, et en fit des plaintes à Protogène, qui me dit en riant ce qu’on lui avoit rapporté de moi. Monseigneur, lui dis-je en particulier, il est aisé à voir que celui qui se plaint que j’ai médit de lui est extrêmement vicieux ; car, s’il ne l’étoit pas, il ne s’iroit pas figurer que ces vers piquans fussent contre lui : je ne songeois pas seulement qu’il fût au monde en composant ma satire, et néanmoins, parce qu’il a lui seul les vices de tous les autres, je n’en ai pu reprendre pas un qui ne soit en son nom. Voilà le sujet de sa fâcherie, qu’il auroit beaucoup plus d’honneur à celer, craignant qu’il ne soit cause lui-même que l’on sçache ses façons de vivre par toute la cour.

  1. Rectifions la note 5 de la page 233, qui concerne le fou de Gaston d’Orléans :— — Neufgermain a plus de droits que Dulot au pseudonyme de Collinet, car il se parait lui-même du titre de poëte hétéroclyte de Monsieur.