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et lui contant les hasards dont j’étois miraculeusement sorti. Je heurtai bien fort à la porte, qui étoit fermée, parce que tous ceux qui avoient été à ma quête s’étoient retirés : le Suisse, à demi ivre et à demi endormi, s’en vient et demande qui c’est ; je ne lui répondis qu’à grands coups de marteau. Madame l’a fendu que l’on fasse du bruit céans, elle a mal à son tête, dit-il, si vous ne vous arrêtez, moi vous baillerai de mon libarde dans le triquebille. Pardi, que demande-vous toi ? Madame ni peut dormir, et li va faire son petit musique. Êtes-vous un chancre ? Si vous l’êtes un chancre, li montre son livre. En achevant ce beau discours, il m’ouvrit la porte, et je lui dis : Laissez-moi entrer, je suis Francion. Ne me reconnoissant pas, et croyant que je lui disse que je demandois Francion, il me parla ainsi : Francion n’a que faire de vous ni de vos oublies, il n’est pas céans. Incontinent il referma la porte, et s’en alla sans me vouloir entendre davantage ; tellement que de peur de faire trop de bruit, vu que madame se trouvoit mal, ayant soufflé ma chandelle, je m’en allai faire la promenade dans les rues, songeant en quelle maison je me pourrois retirer ; car il y avoit beaucoup d’hommes devant qui je n’avois garde de paroître, sçachant bien qu’ils s’imagineroient que je m’étois déguisé pour faire quelque tour de friponnerie, et ne manqueroient pas à inventer là-dessus mille choses qu’ils publieroient à la cour.

J’étois profondément enseveli dans cette pensée, lorsque je fus arrêté par les archers du guet, qui me demandèrent où j’allois et qui j’étois. Vous voyez qui je suis à mon corbillon, leur dis-je ; au reste, je m’en retourne chez moi, après avoir perdu au jeu toutes mes oublies. Nous étions proche d’une lanterne des rues, qui leur fit voir mon visage, auquel ils remarquèrent je ne sçais quoi qui ne sentoit point son oublieux. Voilà pourquoi ils me soupçonnèrent de quelque méchanceté, avec ce que je n’avois point de chandelle allumée. Ils fouillèrent dans mes pochettes, où ils trouvèrent mon pistolet, qui leur donna une mauvaise opinion tout à fait. Vous êtes un coquin, dirent-ils, vous vous êtes ainsi déguisé pour faire quelque meurtre. L’on nous a avertis de prendre garde à des gens qui usent du même artifice que vous : vous viendrez tout à cette heure en prison. Ayant dit cela, ils me pri-