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cin mena sa fille à une petite maison qu’il avoit achetée à une demi-lieue de Paris ; et, sa vacation ne lui permettant pas d’y prendre longtemps son plaisir, il s’en retourna dès le lendemain à la ville. La servante, ayant plus d’envie que jamais d’assister le comte, se trouvant avec sa maîtresse, elle lui demanda si elle n’eût pas été bien aise, à cette heure-là qu’elle étoit seule, d’avoir son serviteur auprès d’elle. Elle lui répondit que oui, entendant parler d’un brave jeune homme de sa condition, qui lui faisoit l’amour ; mais la servante ne le prit pas de ce biais-là, et fit tant qu’elle avertit notre amant sans parti que celle qui l’avoit vaincu souhaitoit passionnément sa présence. Il ne faillit point à venir au village sur le soir, et la servante, l’ayant fait entrer par la porte du jardin, le mena jusqu’en un grenier où elle le pria de se cacher sous de méchantes couvertures, de peur d’être vu de quelqu’un, lui promettant que, dès qu’il seroit nuit, elle le viendroit querir pour le mener à sa maîtresse. En après, elle s’en alla vers elle, et lui dit en riant : Eh bien, il est venu, je l’ai fait cacher là-haut sous ces couvertures qui y sont. La jeune damoiselle se douta bien de qui elle vouloit parler, et se délibéra de prendre vengeance de la hardiesse qu’il s’étoit donnée de se venir cacher chez elle, comme pour ravir son honneur. Afin que la servante ne nuisît point à son dessein, sans avoir répondu que par un signe de la tête à ce qu’elle lui venoit d’apprendre, elle lui donna un message à faire tout au bout du village. Quand elle fut partie, elle appela le vigneron et son fils, et, leur ayant fait prendre à chacun un bon bâton, les mena dedans le grenier. Le comte, pour se donner de l’air, avoit toujours eu la tête découverte ; mais, au bruit qu’ils firent en montant, il la cacha tout à fait. Étant entrés, la fille du médecin commanda à ses gens de frapper tant qu’ils pourvoient sur les couvertures, afin d’en ôter la poussière. Le vigneron dit qu’il falloit donc les ôter de là, et les porter à la cour pour les secouer. Mais sa maîtresse lui répondit qu’elle ne vouloit pas qu’ils y touchassent seulement d’autre façon qu’avec leurs bâtons. Ayant dit cela, elle s’en retourna dans sa chambre. Cependant les paysans commencèrent à frapper de toute leur force sur les couvertures, qui étoient assez minces pour ne pas garantir le comte de sentir les coups qui tomboient dru comme de la grêle. Ce