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de proie : il appelle longtemps, et regarde partout, quelque chose que l’on lui dise. Enfin Clérante descendit de cheval, et moi aussi ; nous entrâmes au lieu où il étoit, pour lui demander s’il n’avoit point trouvé l’oiseau. La bourgeoise, voyant ce seigneur chez elle, s’en vint lui témoigner sa courtoisie, et le pria de prendre un peu de repos dans sa salle, en attendant que l’on eût rencontré ce qu’il cherchoit.

Pour prendre l’occasion qui s’offroit, il lui répondit que son honnêteté n’étoit pas de refus, et qu’il avoit beaucoup de lassitude. Nos voix étoient bien différentes de celles que nous avions prises à la noce par fiction, et nos visages ne lui étoient pas reconnoissables ; quand nous n’eussions pas eu l’artifice de les déguiser, en faisant le personnage de ménétrier, elle n’eût pas alors cru que nous étions ceux-là mêmes qu’elle avoit vus depuis peu de jours sous de si méchans haillons, et son jugement eût plutôt démenti ses yeux ; car qui est-ce qui eût été si subtil que de s’imaginer la vérité d’une telle chose ? Nous étant assis, et elle pareillement, Clérante dit que l’humeur de son faucon, qui s’étoit égaré, lui étoit extrêmement désagréable, qu’il étoit le plus volage et le plus infidèle qu’on vit jamais. Je réponds que, quand il seroit perdu, ce ne seroit pas grand dommage, et que l’on en trouveroit assez de meilleurs : ainsi nous tînmes plusieurs discours sur la fauconnerie, donnant toujours quelque petite attaque aux dames, qui sçavent attraper tant de proie ; ce qui fit connoître à la bourgeoise que nous étions de bons compagnons. Néanmoins elle n’osoit pas encore nous donner de si libres reparties que nous ne l’eussions incitée à ce faire. Madame, lui dit Clérante en quittant mon entretien, il n’en faut point mentir, c’est plutôt le désir de vous voir que de ravoir mon faucon, qui m’a fait entrer céans. Elle répondit qu’il lui pardonnât, si elle ne pouvoit croire qu’il eût voulu prendre tant de peine pour un si maigre sujet. Vous vous imaginez donc, reprit-il, que je fais plus d’état de mon faucon que de vous ? C’est vous abuser excessivement ; car j’ai bien plus de raison de vous chérir que lui, vu qu’il est croyable que vous n’êtes pas si mauvaise que de frustrer votre chasseur du plaisir de la proie que vous ravissez. Ce qu’il y a de plus, monsieur, interrompis-je, c’est que l’on remarque une grande différence entre les faucons et les dames, à laquelle vous ne prenez pas garde. Quelle