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ayant ouvert la porte, il vient de sortir d’ici un homme qui vous cherche partout : je lui ai dit que vous étiez à la ville, il en a pris le chemin ; il vous veut parler d’une chose bien pressée, et qui vous importe grandement, à ce qu’il dit ; ne l’avez-vous point rencontré ? Non, dit le mari, je suis venu par des chemins extraordinaires. Retournez-vous-en donc le long du grand chemin, je vous en supplie, réplique la bourgeoise ; et vous le ratteindrez infailliblement.

Le mari, bien empêché à songer ce que l’on lui veut, pique son cheval et s’en reva. La bourgeoise, très-aise que sa tromperie a réussi, va retrouver Clérante, avec qui elle demeure le plus longtemps qu’elle peut. Le jour étant venu tout à fait, son mari arriva au logis, qui dit qu’il n’avoit point eu de nouvelles de l’homme qui le demandoit, bien qu’il se fût enquis de lui sur les chemins et dans la ville où il avoit passé la dernière partie de la nuit, ce qui le mettoit bien en peine.

Ayant pris congé de notre bourgeoise, nous nous en allâmes allègres et joyeux, et passâmes par-devant l’hôtellerie où mon valet de chambre nous attendoit. Nous ayant aperçus, il partit incontinent pour nous suivre de loin. Nous nous remîmes en la mémoire tout ce qui nous étoit arrivé. Clérante me conta ce qu’il avoit entendu dire aux deux vieillards, dont je conjecturai que c’étoit un bon génie qui l’avoit porté à se déguiser pour découvrir une si grande trahison. Je m’en réjouis grandement, joint qu’il avoit eu le bonheur de coucher avec une beauté pour laquelle j’eusse fait cent lieues de chemin à pied, et me transformerois en toutes sortes de façons, s’il étoit nécessaire.

Que ceux qui prendront pour une friponnerie ce voyage-ci de Clérante considèrent qu’il ne devoit pas aller faire l’amour à la bourgeoise en ses habits ordinaires, d’autant qu’il eût fait tort à sa qualité : il valoit bien mieux faire comme il fit. Il usa d’une subtile invention, en racontant l’histoire mensongère de sa femme ; car sçachez qu’en disant qu’après avoir fait l’amour à une voisine il venoit encore vaillamment caresser sa femme, il fit venir l’eau à la bouche de la bourgeoise, et lui donna des désirs en quantité ; en toutes les autres choses il se comporta aussi fort prudemment.

Au reste, il n’y avoit rien qui fût capable de lui donner du plaisir comme de s’être déguisé ; premièrement, parce qu’il