Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

badaud tenoit à une servante du logis du seigneur. Il étoit venu l’accoster avec un ris badin, une révérence en remuant les fesses, en tortillant le bord de son chapeau, et disant : Comment vous en va, Robaine ? vous faites-là la sainte sucrée ; je cuide que vous êtes malade. C’est votre grâce, dit la servante. Eh bien, vous voilà une fille à marier, reprit le villageois, ne serez-vous pas prise bientôt comme les autres ? la gelée est forte cette année-ci, dame, tout se prend. Ah ! regardez que c’est que celui-ci nous veut jargonner, repartit la servante ! oui, ils sont pris s’ils ne s’envolent ; il a plus de caquet que la poule à ma tante, il n’aura pas ma toile. Le manant fila doux alors, d’autant qu’il l’honoroit fort, et qu’un demi-ceint d’argent qu’elle avoit étoit une puissante chaîne pour attirer son cœur à son service ; car il faut que vous sachiez que, depuis qu’une servante porte sur les reins ce bel ornement, il n’y a valet ni pauvre artisan qui ne lui jette plus d’œillades que n’en jette un matou sur la viande qui est pendue au croc. Il lui dit donc, avec une façon si hors de propos, que je ne sçavois s’il pleuroit ou s’il rioit : Hen ! ma mère m’a parlé de vous ; et, voyant qu’elle ne lui répondoit point, il lui répéta ces mêmes mots quatre ou cinq fois, en lui tirant la main pour les lui faire entendre, croyant qu’elle dormît ou qu’elle ne songeât pas à lui. Je ne suis pas sourde, dit-elle, je vous entends bien. C’est à cause de vous que j’ai mis une aiguillette de var de mar à mon chapeau, poursuivit le villageois ; car ma couraine m’a dit que c’est une couleur que vous aimez tant, que vous en avez usé trois cotillons. Ce dernier jour, en allant aux vignes, je me détourny, par le sangoi, de plus de cent pas pour vous voir, mais je ne vous avisy point ; et, si toute la nuit je n’ai fait que songer de vous, tant je suis votre serviteur, par la vertigué, j’ai voulu gager plus de cent fois, contre mon biau frère Michaut Croupière, qu’à une journée de la grande haridelle de sa charrue il n’y a pas une fille qui soit de si belle regardure que vous, qui êtes la parle du pays en humidité et en doux maintien. C’est que vous vous moquez, reprit la servante, cela vous plaît à dire. Oh ! non fait, lui dit le paysan. Oh ! si est, répondit-elle. Oh ! bien, reprit-il, revenant toujours à ses moutons, ma mère, hen ! ma mère m’a parlé de vous, comme je vous dis ; si vous voulez vous marier, vous n’aurez qu’à dire. Jamais il n’expliqua