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sentoit, lorsqu’ils venoient à discourir des affaires d’État, dont ils parloient selon leurs opinions et celles de leurs grands-pères, donnant toujours quelque blâme aux seigneurs qui avoient approché le plus près de la personne des rois ! Pour moi, de mon naturel je ne me plais guère à toutes ces choses-là ; car je n’aime pas la communication des personnes sottes et ignorantes. Néanmoins, afin de lui agréer, je m’efforçois tant d’y prendre du plaisir, que je puis assurer que j’en prenois quelque peu, quand ce n’eût été que de voir qu’il en recevoit, d’autant que mon principal soin étoit de le faire vivre joyeusement.

Je me portai même jusqu’à prendre le dessein d’une galanterie que fort peu de personnes voudroient entreprendre. On nous avoit dit qu’il y avoit, à trois lieues de là, dedans une ferme, la plus belle bourgeoise du monde. Je m’avisai de m’habiller en paysan, et de porter un violon, dont je sçavois jouer, afin d’entrer plutôt chez elle. Ce qui me faisoit prendre cette délibération, c’étoit que l’on m’avoit appris que la mignarde aimoit passionnément à rire et avoit des rencontres fort plaisantes. Or j’espérois de lui tenir des discours si facétieux, que ce seroit un plaisir des plus grands d’ouïr notre entretien. Le bon étoit qu’il y avoit une noce en son village le jour que j’avois délibéré d’y aller. Clérante, se voulant aussi égayer, fit provision d’une cymbale pour m’accompagner, parce que c’est un instrument dont le jeu n’est guère difficile, il ne faut que battre dedans avec la verge de fer à la cadence des chansons.

Nous sortons un matin, avec nos vêtemens accoutumés, faisant accroire que nous allons à douze lieues loin, et ne menons avec nous que mon valet de chambre, que j’avois rendu fin matois. Étant à deux lieues de la maison, nous entrâmes dans un bois fort solitaire, où nous vêtimes des haillons que nous avions apportés avec nous. Clérante fit bander son visage à moitié et noircir sa barbe, qui étoit blonde, de peur d’être reconnu par quelqu’un. Quant à moi, je me mis seulement un emplâtre sur l’un de mes yeux, et j’enfonçai ma tête dans un vieux chapeau dont j’abaissois et haussois le bord à ma volonté, comme la visière d’un armet, parce qu’il étoit fendu au milieu.

En cet équipage, nous marchâmes jusqu’au village où se