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Comme je vis que ces matoises de femmes étoient venues si hardiment pour m’attraper, je me résolus de me moquer d’elles, et, faisant néanmoins le sérieux, je leur dis : Je confesse que je suis beaucoup obligé à mademoiselle ; toutefois je pouvois bien recevoir d’elle plus de faveurs que je n’ai reçu : il y a environ trois mois que je ne l’ai vue, et possible a-t-elle bien fait d’autres connoissances que la mienne ; mais cela n’est rien, il n’a pas tenu à elle que je ne l’aie vue, et je ne me puis exempter de la récompenser de ce qu’elle a fait pour moi. Je suis tout prêt à la contenter, si vous voulez un peu retrancher de la somme que vous me demandez. Eh bien, ce me dit la plus jeune des bourgeoises, je sçais bien qu’elle ne vous veut pas tyranniser. Elle n’oseroit plus même ouvrir la bouche pour parler de la récompense qu’elle vous demande ; elle sera satisfaite si vous lui donnez deux mille francs. Deux mille francs ! ce dis-je, et à quoi pensez-vous ? Croyez-vous que je puisse gagner comme les trésoriers, en faisant un trait de plume ? Considérez que je suis un pauvre gentilhomme qui n’a que l’épée et la cape ; et, puisque mademoiselle veut bien se ranger à la raison, qu’elle modère un peu la taxe. Eh bien, ce dit la première bourgeoise, donnez donc mille francs ; mais, ma foi, vous n’en serez pas quitte à moins. Ah Dieu ! ce dis-je, c’est me vouloir ruiner, que cela ; j’appelle de votre jugement. Alors mon ancienne maîtresse me dit : Puisque vous vous faites si pauvre, je vois bien qu’il faudra que je me contente de cinq cents livres ; mais je les veux avoir tout promptement, et nous ne vous donnerons pas seulement la licence de sortir de cette chambre ; vous avez bien ici de quoi nous payer.

Comme je vis qu’elles en vouloient venir ainsi à la rigueur, je me voulus défaire d’elles, et, ne leur pouvant rien faire retrancher de cinq cents livres, je leur dis : Bien donc, vous serez payées tout maintenant. Et, appelant mon petit laquais, je m’écriai : Basque, viens-t’en ici compter tout à cette heure avec moi. Dis-moi ta recette et ta dépense. Combien est-ce que je te donnai d’argent l’autre jour ? Vous me donnâtes une pistole, monsieur, répondit mon Basque. Or j’ai dépensé quatre quarts d’écus que j’ai donnés à votre blanchisseuse ; j’ai baillé huit sols à un faiseur de luths, chez qui j’ai été querir une demi-douzaine de cordes pour votre luth, et il m’a