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sir, sans qu’il m’en coûtât beaucoup de chose. Véritablement elle étoit fort gentille ; mais, depuis que je connus qu’elle n’étoit pas contente d’un seul ami, et qu’elle commençoit à se laisser aller à d’autres qu’à moi, je ne fis plus d’estime d’elle, et me retirai petit à petit de sa conversation, sans songer si ses affaires étoient vidées, et si elle s’en retourneroit bientôt ou non.

Il y avoit déjà trois mois que je n’en avois point eu de nouvelles, lorsqu’un matin, comme j’étois encore couché, je la vis entrer dans ma chambre, assistée de deux bourgeoises, qui sembloient être des plus anciennes prêtresses du temple de Vénus. J’étois logé dans un petit corps d’hôtel de la maison de Clérante, qui avoit une petite montée sur la rue, si bien qu’elles étoient venues hardiment jusqu’en haut. Je leur fis une réception fort honnête, et, leur ayant fait donner des sièges proche de mon lit, je leur demandai quelle affaire si pressée les avoit obligées à me venir voir de si bonne heure, vu qu’elles n’avoient qu’à me mander que je les allasse trouver, si je leur pouvois rendre du service. Mon ancienne amie, usant de sa familiarité accoutumée, prit la parole pour les autres, et me dit : Monsieur, l’occasion qui m’amène ici, c’est qu’étant pressée de m’en retourner à Tours je ne veux pas partir sans vous dire adieu, ayant reçu de vous tant de témoignages d’affection. Je suis bien contrainte de vous venir trouver, puisque vous ne me venez plus voir et qu’il semble que vous ayez oublié celle que vous avez bien daigné aimer autrefois ; que, si j’ai amené avec moi ces deux honnêtes dames de ma connoissance, ç’a été pour être plus assurée dedans cette maison-ci, où l’on rencontre diverses sortes de gens. Je la remerciai au mieux qu’il me fut possible de la bienveillance qu’elle me témoignoit, et, pour m’excuser de ce que j’avois discontinué de la voir, je tâchai de lui faire accroire que j’avois été longtemps malade : mais elle me changea bientôt d’entretien, et, me tirant hors des complimens, elle me dit : Monsieur, afin que je ne languisse plus parmi les inquiétudes que j’ai, permettez-moi que je vous dise en un mot ce que j’ai sur le cœœur : vous sçavez que, dès les premiers jours que je fus arrivée en cette ville, vous eûtes ma connoissance ; je vous accordai toutes les faveurs que peut désirer un homme, et, s’il se pouvoit encore imaginer quelque chose au delà, vous