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Ces jeunes tetons que le monde
A pris pour le trône d’amour.

Mon désir, aimant leur séjour
Plus que le ciel, la terre et l’onde,
Accroît sa flamme vagabonde
À mesure que, croît leur tour.

Dieux ! faites qu’il en soit le maître,
Si, comme eux, vous le voyez être
En parfaite maturité ;

Et permettez-moi qu’à mon aise,
Sans blâme de témérité,
Un jour je les touche et les baise.


Cela étoit un peu trop folâtre, me dira-t-on, pour envoyer à une jeune fille de bon lieu ; mais je sçavois bien qu’elle n’étoit pas pour s’en offenser, et puis les autres pièces n’étoient pas si licencieuses. J’usai d’un artifice bien gentil pour lui faire tenir le tout. Sçacbant que son père étoit allé aux champs, et qu’elle étoit toute seule au logis avec une servante (car sa mère étoit morte), j’envoyai le laquais d’un mien ami, avec le petit paquet de papiers à la main, lui demander si son père n’étoit point à la maison. Ayant répondu que non, il lui présenta ce qu’il portoit, et la pria de le lui donner dès qu’il seroit de retour, et lui dit que c’étoit pour une affaire de son maître, dont il avoit connoissance, car son père étoit avocat. Le papier baillé, il esquiva vitement, et Diane n’en soupçonna rien ; car c’est la coutume des laquais de courir. D’autant qu’elle sçavoit que son père ne reviendroit pas sitôt, elle eut la curiosité d’ouvrir ce papier, qui étoit trop bien plié pour être de pratique ; et, par ce moyen, ce que j’avois espéré fut accompli. Ainsi que j’ai sçu depuis, ayant vu que tout s’adressoit à elle, elle pensa que cela venoit de la part du maître du laquais, qui venoit quelquefois l’entretenir.

Sitôt qu’elle le vit, elle lui dit par une gentille ruse : Monsieur, vous avez un laquais qui n’exécute guère bien les messages que vous lui donnez ; je m’assure que vous lui aviez baillé tout ensemble deux papiers, l’un pour porter à votre maîtresse, et l’autre pour apporter à mon père. Celui qu’il falloit présenter à cette dame, il l’a apporté céans, et j’ai peur