Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des marquis[1] qui nous en ont frayé le chemin ; et, quoi qu’ils fissent donner l’argent à leurs valets de chambre, comme pour récompense de les avoir servis, cela tournoit toujours à leur profit, et les exemptoit de payer les gages de leurs serviteurs. Quant à ce nouvel auteur que vous connoissez, lequel s’imagine avoir couché avec l’éloquence[2], et que ses ouvrages sont les enfans qui proviennent de leur accouplement, croyez-vous qu’il ait donné son livre pour néant, encore qu’il soit riche ? Non, non ; il l’a bien vendu, et j’en nommerois beaucoup d’autres qui en ont fait de même. Pour moi, je suis de ce nombre, et n’en crois mériter que de la louange ; car, si mes ouvrages ne valoient rien, l’on ne me les achèteroit pas.

Je ne pus rien répondre à ce propos, et me mis à considérer attentivement la misère de ce pauvre écrivain, qui ne faisoit des livres que pour en gagner sa vie. Je jurai bien dès lors qu’il ne falloit point s’étonner si tous ses ouvrages ne valoient rien ; car, allongeant ses livres selon l’argent qu’il désiroit avoir, il y mettoit beaucoup de choses qui n’étoient pas dignes d’être imprimées, et, outre cela, il écrivoit avec une telle hâte, qu’il faisoit une infinité de fautes de jugement.

Enfin, son petit laquais lui ayant apporté ses habits, il se leva, et, tout sur l’heure, il entra un poëte de ses amis, auquel il dit qu’il lui vouloit montrer des vers qu’il avoit faits le jour précédent. Là-dessus, il tire de sa poche un papier aussi gras que les feuillets d’un vieux Bréviaire. Mais, comme il fut à la première stance, il nous dit : Messieurs, je vous supplie de m’excuser, il faut que j’aille tout maintenant faire ce que les rois ni les empereurs ne peuvent faire par ambassade[3]. Je ne fais point de cérémonie avec vous ; vous sçavez

  1. Trait lancé à l’adresse de Racan, qui cependant vivait moins en marquis qu’en poëte. Il répondit à Conrart qui voulait le tirer d’un méchant cabaret où il logeait : « Laissez, je suis bien ici : je dîne pour tant, et le soir on me trempe pour rien un potage. »
  2. Il s’agit encore évidemment de Balzac. L’éloquence de ses Lettres a soulevé une querelle dont le résumé occupe tout un chapitre de la Bibliothèque françoise.
  3. La scène que l’on va lire se rapporte, non à Porchères-l’Augier, mais à Racan qui entre ici dans la peau de Musidore. On la retrouve en partie dans l’Historiette consacrée par Tallemant des Réaux à l’auteur des Bergeries. (Même édition, t. II, p. 359-360.)