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ler chez lui, et ne point manquer à l’y rencontrer. Je n’avois garde que je ne le trouvasse au lit ; car il faut que vous sçachiez que la plupart de ces messieurs s’y tiennent toujours jusqu’à onze heures, et qu’ils ne sçauroient rien composer que dedans ce repos. Comme je fus donc dans sa chambre, et que je lui eus demandé pardon de ma visite, il me témoigna que je lui faisois beaucoup d’honneur, et fit ouvrir tous les volets des fenêtres, afin d’avoir du jour pour se lever. Je vis alors qu’au lieu de bonnet de nuit il avoit son caleçon autour de sa tête, et que tout le meuble de sa chambre étoit réduit à une escabelle à trois pieds et à un coffre de bois qui servoit de table, de buffet et de siège. Pour le lit, il étoit d’une étoffe si usée, que l’on n’en pouvoit pas même connoître la couleur, et il avoit été rongé de plus de rats qu’il n’y en avoit au combat que décrit Homère. Tout ceci me fit juger que la richesse de Musidore n’étoit pas si grande que j’avois pensé, et que, si peu qu’il avoit, il le mettoit tout sur soi, pour paroître au dehors.

Comme je rêvois là-dessus, il me retira de ma méditation par un cri extravagant qu’il fit en appelant son valet : Ho ! Calcaret, dit-il, çà, je me veux lever ; apporte-moi mon bas de soie de la correction et de l’amplification de la Nymphe amoureuse ; donne-moi mon haut-de-chausses du grand Olympe, et mon pourpoint de l’Héliotrope : je pense que mon manteau des lauriers du triomphe viendra fort bien là-dessus[1]. Ce discours m’étonna, de sorte que je n’en pouvois trou-

  1. « Pour les habits, ç’a toujours été le plus extravagant homme du monde, après M. des Yveteaux, et le plus vain. J’ai oui dire à M. le Pailleur qu’étant allé chez Porchères, il y a bien trente-cinq ans, il aperçut, en entrant dans sa chambre, un valet qui mettoit plusieurs pièces à des chaussons. Il le trouva au lit ; mais le poëte avoit eu le loisir de mettre sa belle chemisette et son beau bonnet : car, si personne ne le venoit voir, il n’en avoit qu’une toute rapetassée, et ne se servoit que d’un bonnet gras et d’une vieille robe de chambre toute à lambeaux dont il se couvroit la nuit. Il demande à le Pailleur la permission de se lever, et, avec sa bonne robe de chambre, il se met auprès du feu. « Mon valet de chambre, car il l’appeloit ainsi, apportez-moi, dit-il, un tel habit, mon pourpoint de fleurs. Non, mon habit de satin. Monsieur, quel temps fait-il ? — Il ne fait ni beau ni laid. — Il ne faut donc pas un habit pesant ; attendez. » Le valet, fait au badinage, apporte