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aviez. Il me semble que tous m’avez dit que ce fut un nommé Raymond qui vous le prit ; vous lui en vouliez du mal ? Je vous en réponds, dit Francion, et, maintenant encore que je me ressouviens de l’ennui qu’il me fit souffrir, ma haine se rallume aussi ardemment que jamais, car son action m’est extrêmement odieuse, d’autant que je sçais assurément qu’il étoit des meilleures maisons et des plus riches de France. Le seigneur du château, ayant alors une certaine façon non accoutumée dont à peine eût-on pu trouver la cause, dit que possible ce Raymond avoit dérobé l’argent par galanterie ou par nécessité, se voulant débaucher pour aller en Flandres au deçu de ses parens, et que pourtant, si Francion ne lui pardonnoit point, il pouvoit s’informer s’il étoit en Bourgogne, et le faire appeler en duel ; mais Francion répondit qu’il se feroit la risée de tout le monde, s’il témoignoit d’avoir du ressentiment pour des offenses si anciennes. Néanmoins son hôte lui promit qu’il s’enquêteroit s’il y avoit en Bourgogne, ou aux environs, un seigneur qui portât ou qui eût porté autrefois le nom de Raymond, seulement pour lui contenter l’esprit, en lui apprenant qu’étoit devenu son voleur. Là-dessus, il lui donna le bonsoir, et le pria de se disposer à lui conter le lendemain au matin le reste de sa vie ; puis il s’en alla coucher, ayant beaucoup de satisfaction d’avoir ouï tant de diverses choses où il y avoit des instructions pour beaucoup de sortes de personnes ; car, encore que tout le monde ne soit pas pédant, si est-ce que les actions du pédant Hortensius ne lui sont pas seulement particulières, il y en a assez qui en peuvent faire de semblables. Francion avoit aussi naïvement fait voir la sottise du peuple, qui n’estime que ceux qui sont bien vêtus, et spécialement l’impertinence des courtisans, qui s’estiment plus que les bourgeois des villes, qui valent quelquefois mieux qu’eux. L’on voit aussi les erreurs d’une jeunesse mal conduite, pour l’éloignement des parens ; mais néanmoins il faut remarquer partout cette générosité d’esprit de Francion, qui ne le quitte jamais. Celui qu’il avoit entretenu de ses belles aventures pouvoit méditer là-dessus en se couchant et en retirer un contentement parfait. Nous n’en ferons pas moins, si nous avons l’industrie de nous en servir. Ensuite de ceci, nous verrons les sottises des poètes et des auteurs du temps parfaitement bien décrites. Les imperti-