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et la faites peindre de couleur de chair, ou me prêtez la peau du vôtre pour le couvrir. Ne vous souciez pas, nous pourvoirons à tout, lui répondit-il.

Ils tenoient ainsi des propos naïfs, que l’on ne doit point passer sous silence, encore qu’ils ne soient pas si relevés que beaucoup d’autres ; car l’histoire ne seroit pas complète sans cela. Nous avons dessein de voir une image de la vie humaine ; de sorte qu’il en faut montrer ici diverses pièces. L’histoire du père de Francion représente bien un gentilhomme champêtre, qui a vu de la guerre en sa jeunesse, et a encore un cœur martial, qui méprise toutes les autres conditions. L’avarice de quelques gens de judicature, et toutes leurs mauvaises humeurs, sont aussi taxées fort à propos. L’on voit après les sottises de quelques personnes vulgaires, et puis enfin l’on trouve les impertinences de quelques pédans avec les friponneries des écoliers. C’est ce que Francion continuera dans la suite de son histoire, faisant voir aussi les erreurs de ceux qui pensent être plus sages et plus riches, ou de meilleure maison qu’ils ne sont, ainsi que faisoit M. Hortensius. L’on connoîtra comme il en a été moqué de tout le monde, si bien que cela servira de leçon à plusieurs. Francion prenoit beaucoup de plaisir à raconter ces choses, parce qu’il avoit en lui beaucoup de sentimens d’un bon naturel qui lui faisoit haïr la sottise de beaucoup d’autres hommes. Néanmoins, il ne parloit pas avec tant d’attention qu’il ne regardât bien souvent tout ce qui étoit autour de lui ; et, comme il eut achevé les dernières paroles que nous avons récitées, il voulut entièrement contenter sa curiosité, et, ayant un peu tiré à soi le rideau de son lit, il avança la tête pour jeter les yeux sur l’endroit le plus reculé de la chambre. Que regardez-vous, monsieur, lui dit alors le seigneur du château ? Je voulois voir, répondit Francion, s’il n’y avoit point ici quelqu’un de vos gens pour le prier qu’il me donnât ce petit tableau qui est attaché à la tapisserie. Il m’est impossible de discerner d’ici ce qui y est représenté. Je m’en vais vous le quérir, dit le seigneur ; et, s’étant levé de sa place, il alla prendre le tableau, qui étoit fait en ovale, et pas plus grand qu’un cadran au soleil[1] à porter en la poche, et le mit entre

  1. Ce genre de cadran solaire, nommé cadran portatif, faisait l’office de montre.