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cassa, quand tous chûtes en une caverne, vous montre l’instabilité des plaisirs du monde. Le pissat qu’une femme vous fit boire signifie que les plaisirs que vous cherchez avec les dames ne sont rien qu’ordure ; et, si d’un seul soufflet vous mîtes celle-là en diverses pièces, c’est pour vous faire entendre qu’il ne faut presque rien pour rendre les affections des femmes divisées et vagabondes. Que si la tête et les bras voulurent jouir des autres membres, c’est qu’elles veulent que l’on les adore pour tout ce qui est en elles, et qui n’y est pas, et qu’elles s’imaginent y être. Les femmes nues qui s’apparurent à vous ne veulent rien représenter que les délices mondaines en tout ce qu’elles firent. Pour les temples du pucelage et du cocuage, ils sont fort aisés à entendre d’eux-mêmes ; et, si Valentin vous donna un coup de ses cornes, c’est qu’il a bien envie de vous battre. Mais vous fûtes guéri incontinent, pour montrer que le mal qu’il vous fera ne vous sera guère nuisible. Quant à Laurette, que vous pouviez voir, mais que vous ne pouviez toucher, c’est possible que vous serez trompé lorsque vous croirez jouir d’elle. Et, pour le remède que l’on donna à votre impuissance imaginaire, et la fleur qui vous sortit de la tête, laquelle vous coupâtes, et le moyen ridicule dont l’on vous conserva la vie, c’est qu’une tête cassée, comme est maintenant la vôtre, ne se peut rien imaginer que des extravagances. Épluchez les autres circonstances, si vous voulez, comme celle des tetons sur lesquels vous tombâtes ; pour moi, je ne veux plus devenir fou en contrôlant les folies des autres. Votre raison est très-bonne, dit Francion, et, puisque ma tête est fêlée, je crains que ma cervelle ne s’envole par sa fente.

Pour ce qu’ils dirent là-dessus, et pour moi je ne conclus rien autre chose, sinon que ceux qui se laissent emporter aux vanités du monde y pensent éternellement, et que jamais leur sommeil n’est paisible. Je dirai bien même que je crois qu’ils dorment et qu’ils rêvent toujours ; car tout ce qu’ils voient n’est qu’illusion et tromperie : si bien qu’encore que Francion veuille distinguer son songe du reste de ses aventures, si est-ce que je le tiens pour pareil, et je pense que ses actions n’étoient pas alors plus réglées. Toutefois, comme la principale erreur de ceux qui rêvent est de croire qu’ils ne rêvent point, il s’imaginoit alors être fort bien éveillé, et son compagnon aussi ; car ceux qui ont le cerveau troublé par la fan-