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tels, ma fille, qu’ait frappé le malheur, contre lequel tu te révoltes à l’excès, si tu te compares à ceux qui te sont lies par le sang et par une même origine, comme Chrysothémis, Iphianasse[1], et celui dont la jeunesse obscure se passe dans la souffrance, mais qui, un jour, glorieux et fier de sa naissance, rentrera dans l’illustre Mycènes, sous les auspices de Jupiter, Oreste enfin !

ÉLECTRE.

Oreste, je ne me lasse pas de l’attendre ; malheureuse, sans enfants, sans époux, j’erre sans relâche, baignée de larmes, en proie à ces misères interminables ; et lui, il oublie mes bienfaits et mes instances. Quels messages, en effet, n’ont pas trompé mon attente ! Toujours il désire revenir, et malgré ses désirs, il ne reparaît pas.

LE CHŒUR.

(Antistrophe 2.) Aie confiance, ma fille, aie confiance : Jupiter, qui règne au haut des cieux, voit et gouverne tout ; remets-lui ton ressentiment et tes douleurs, et ne montre à tes ennemis ni trop d’emportement, ni trop d’oubli. Le Temps, en effet, est un dieu qui rend tout facile. Ce fils d’Agamemnon, qui habite les rivages de Crisa[2], aux fertiles pâturages, ne restera jamais en arrière, non plus que le dieu qui règne sur les bords de l’Achéron[3].

ÉLECTRE.

Mais déjà la plus grande partie de mes jours s’est écoulée à nourrir de vaines espérances, et je n’y puis plus résister ; je languis, sans parents, sans l’appui d’aucun ami ; mais, comme une humble étrangère, je vis méprisée dans la maison de mon père, couverte de ces vils habits, à peine nourrie de chétifs aliments[4] !

  1. Une des filles d’Agamemnon, autre que l’Iphigénie qui fut sacrifiée : ou du moins, Homère qui la nomme, Iliad., IX, 145, ne dit nullement qu’elle ait été sacrifiée à Aulis.
  2. Ville de Phocide, habitée par Strophios, chez qui Oreste avait trouvé un asile. Cette ville avait été originairement le sanctuaire du culte d’Apollon.
  3. C’est-à-dire que Pluton lui-même punira les meurtriers.
  4. Littéralement : « et je prends place à des tables vides. »