Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

famille. Voilà ce que j’avais à vous dire ; toi, vieillard, occupe-toi d’aller remplir ta mission ; et nous, retirons-nous ; car voici l’occasion, le plus puissant auxiliaire des entreprises humaines.

ÉLECTRE, encore dans le palais

Hélas ! malheureuse !

LE GOUVERNEUR.

Il m’a semblé, mon fils, entendre dans l’intérieur du palais les gémissements d’une esclave.

ORESTE.

Ne serait-ce point la malheureuse Électre ? Veux-tu que nous restions un moment ici, et que nous écoutions ses plaintes ?

LE GOUVERNEUR.

Nullement. Avant toutes choses, accomplissons les ordres d’Apollon[1] ; c’est par là qu’il nous faut commencer, en versant des libations sur les cendres de notre père ; l’accomplissement de ce devoir assurera notre victoire et la réussite de nos projets.

(Ils sortent.)



ÉLECTRE.

O lumière pure, air céleste également étendu sur la surface de la terre[2], combien de fois as-tu entendu mes plaintes lamentables et les coups dont je frappe mon sein ensanglanté, quand les ombres de la nuit sont dissipées ! Mais pendant la longue durée des nuits, ma triste couche, dans cette obscure demeure, sait combien de pleurs je verse sur l’infortune de mon père, déplorable victime,

  1. Λόξίον « de Loxias, » nom d’Apollon, lorsqu’il rendait ses oracles. Il revient très-fréquemment dans les tragiques.
  2. Phérécrate, poète de la comédie ancienne, avait parodié ce passage. Plaute, dans le prologue de son Mercator, v. 3-5 :
    Non ego idem facio, ut alios in comœdiis
    Vidi facere amatores, qui aut nocti, aut die,
    Aut soli, aut lunæ : miserias narrant suas.