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le plus cher de leurs amis. Annonce-leur, sous la loi du serment, qu’Oreste a péri de mort violente, qu’il est tombé de son char dans les jeux pythiques[1] : tel doit être ton langage. Pour nous, après avoir versé des libations et déposé notre chevelure[2] sur le tombeau de mon père, ainsi qu’Apollon l’a prescrit, nous reviendrons ici, portant dans nos mains l’urne d’airain que, tu le sais aussi, j’ai cachée dans les broussailles ; afin de les abuser par nos discours, en leur apportant l’agréable nouvelle que j’ai péri, et que mon corps est réduit en cendres. Que m’importe, en effet, de passer pour mort, pourvu qu’en réalité je vive, et que j’arrive à la gloire ? Aucune parole n’est de mauvais présage, si elle est utile. J’ai vu[3] bien des sages, ainsi morts en paroles, reparaître ensuite plus glorieux[4]. Ainsi je me flatte, après cette mort supposée, de reparaître bientôt aux yeux de mes ennemis, comme un astre étincelant. O terre de ma patrie, dieux tutélaires de mon pays, accueillez mon retour par d’heureux auspices ; et toi aussi, palais de mes pères, car je viens, envoyé par les dieux, te purifier, par une juste vengeance, des crimes dont tu fus le théâtre, ne permettez pas que je quitte cette terre avec déshonneur, faites que je recouvre notre ancienne puissance, et que je rétablisse ma

  1. Le scholiaste relève ici un anachronisme de Sophocle au sujet des jeux pythiques, qui ne furent institués que cinq siècles après Oreste, c’est-à-dire dans la quarante-huitième olympiade, ou 585 avant notre ère. Des savants justifient cependant Sophocle, en rapportant l’institution de ces jeux à Apollon lui-même, après qu’il eut tué le serpent Python. (Voir la note de M. Boissonade.)
  2. Coutume dont les tragédies grecques font une mention fréquente. On la retrouve dans les Choéphores d’Eschyle, dans Ajax, où Teucer engage Tecmesse à déposer sa chevelure et celle de son fils sur le tombeau de son époux, et il donne lui-même l’exemple. Voir encore Oreste, v. 128 ; Hélène, v. 1207 ; Iphigénie en Tauride, v. 158 ; les Troyennes, 469, 1227 et suivants.
  3. Allusion à un trait de la vie d’Ulysse, qui répandit lui-même le bruit de sa mort, pour mieux tromper ses ennemis. Cependant l’opinion du scholiaste est qu’il s’agit plutôt ici de Pythagore.
  4. Sénèque a reproduit la même pensée dans les Troyennes, v. 490 :
    Hæc causa multos una ab interitu arcuit.
    Credi periisse.