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après le meurtre de ton père, je te reçus des mains de ta sœur, et t’emportai ; je te sauvai et t’élevai jusqu’à cet âge[1] pour être le vengeur de ton père. Maintenant donc, Oreste, et toi, Pylade, le plus cher des hôtes, il faut délibérer au plus tôt sur ce que nous avons à faire. Déjà, en effet, la brillante clarté du soleil éveille le chant matinal des oiseaux, et la sombre nuit a disparu avec ses étoiles. Avant donc que personne ne sorte de ce palais, concertez-vous ; car au point où nous en sommes, il n’est plus temps d’hésiter, mais c’est le moment d’agir.

ORESTE.

O le plus cher des serviteurs, que de marques tu me donnes de ta fidélité ! Semblable à un coursier généreux dont les années n’ont point ralenti l’ardeur dans les périls, et qui dresse encore l’oreille[2], tu nous encourages, et tu es toi-même des premiers à nous suivre. Je vais donc te révéler mes projets, et toi, prête à mes paroles une oreille attentive ; et si dans mes plans je m’écarte du but, redresse-moi. Quand j’allai consulter l’oracle de Delphes sur la manière de punir les meurtriers de mon père, Apollon me répondit ce que tu vas entendre : « C’est par toi-même, sans armes et sans soldats, par la ruse et par un coup secret, qu’il faut accomplir le juste châtiment. » Puisque telle est la réponse que nous avons reçue de l’oracle, toi, saisis le moment de pénétrer dans l’intérieur du palais, observe tout ce qui se passe, et viens ensuite nous en instruire. Ta vieillesse, ta longue absence, les empêcheront de te reconnaître, ainsi blanchi par l’âge, et même de te soupçonner. Dis-leur que tu es étranger, envoyé de la Phocide par Phanotée ; car c’est

  1. Oreste devait avoir alors près de vingt ans ; car il était né avant le départ d’Agamemnon pour la guerre de Troie, qui dura dix ans ; et sept ans s’étaient passés depuis le meurtre d’Agamemnon, lorsque Oreste tua Égisthe. (Voir Odyss., III, 306.)
  2. Ennius cité par Cicéron, de Senectute, c. 5, a imité ce passage :
    Sicut fortis equus, spatio qui sæpe supremo
    Vicit Olympia, nunc senio confectus quiescit