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seigna aux Grecs l’usage funeste des armes et les guerres mortelles ! O travaux sans cesse renaissants ! celui-là fut le fléau des hommes.

(Strophe 2.) Celui-là m’a ravi la joie des couronnes et des coupes profondes, les doux accents de la flûte, hélas ! et les plaisirs nocturnes des amours. 11 m’a privé des amours, oui, des amours ; hélas ! étendu sur ce rivage, dans mon abandon, je laisse mes cheveux s’abreuver des rosées fréquentes, triste souvenir de Troie !

(Antistrophe 2.) Autrefois, contre les craintes de la nuit et contre les traits ennemis, le vaillant Ajax était mon rempart ; mais maintenant il est la proie d’une divinité odieuse[1]. Quel plaisir me reste-t-il désormais ? Que ne suis-je à l’ombre des bois qui couronnent le promontoire de Sunium et ses vagues retentissantes, pour saluer les murs sacrés d’Athènes !



TEUCER.

J’ai hâté mon retour, j’ai aperçu le chef de l’armée, Agamemnon, marchant vers ces lieux à pas précipités ; son air m’annonce des paroles sinistres.

AGAMEMNON.

On m’annonce que tu oses impunément proférer contre nous des paroles outrageantes, toi, le fils d’une captive[2]. Sans doute, si tu avais été nourri par une noble mère, tu étalerais bien de l’arrogance et tu marcherais la tête haute[3], puisque, toi qui n’es rien, tu as combattu pour un homme de rien ! À t’en croire, nous ne sommes les chefs ni de l’armée ni de la flotte, ni le tien ; et Ajax, en venant ici, ne dépendait que de lui-même. N’est-ce pas une honte d’entendre ce langage d’un esclave ? Et pour quel homme encore fais-tu éclater tant d’audace ? Où a-t-il été ? qu’a-t-il fait, que je n’aie fait moi-même ? Après lui, n’y a-t-il plus d’hommes parmi les Grecs ?

  1. De Pluton.
  2. C’est-à-dire d’Hésione.
  3. κἀπ᾽ ἄκρων ὡδοιπόρεις, « tu marcherais sur l’extrémité des doigts. »