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qui avait reçu d’Hector cette épée en don, s’est donné le coup mortel en se jetant dessus[1]. N’est-ce pas Érinnys qui fabriqua ce glaive, et Pluton, l’artisan de cruautés, qui fit le baudrier ? Pour moi, je suis porté à dire que ces événements, comme tous les autres, sont toujours ourdis aux hommes par les dieux : celui qui ne goûte point cette opinion peut se complaire dans une autre, et moi, je garderai la mienne.

LE CHŒUR.

Ne prolonge pas ces discours, songe plutôt à ensevelir ce guerrier, et à trouver ce que tu auras bientôt à répondre ; car j’aperçois un ennemi, et peut-être, vu son méchant naturel, vient-il rire de nos maux.

TEUCER.

Quel est donc celui de nos guerriers que tu vois ?

LE CHŒUR.

Ménélas, pour lequel nous sommes venus sur ces bords.

TEUCER.

Je le vois ; de si près il est facile à reconnaître.



MÉNÉLAS.

Holà ! je te défends de porter les mains sur ce cadavre ; je t’ordonne de le laisser dans l’état où il est[2].

TEUCER.

Pourquoi donc jettes-tu ces paroles arrogantes[3] ?

MÉNÉLAS.

Telle est ma volonté et la volonté de celui qui commande à l’armée.

  1. Les anciens voyaient dans ces coïncidences fortuites un signe de l’intervention des dieux.
  2. Le scholiaste remarque que le poète donne ici à Ménélas le ton arrogant qui était dans son caractère. On peut ajouter que l’esprit athénien attribuait quelque chose de grossier à tout ce qui venait de Sparte.
  3. ἀνήλωσας. « as-tu dépensé. » Euripide, dans les Suppliantes, v. 547, a employé une expression semblable :
    Σκαιόνγε τἀνάλωμα τῆς γλώσσης τόδε
    « c'est là une dépense inepte de paroles. »