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mon armure sera enseveli avec moi. Allons, prends vite cet enfant, ferme les portes, et ne fais pas retentir la tente de tes gémissements. Les femmes se plaisent aux lamentations. Ferme au plus tôt les portes : un habile médecin ne cherche pas à calmer par des paroles enchantées[1] les maux qu’il faut guérir avec le fer.

LE CHŒUR.

Un tel empressement me saisit de crainte ; tes paroles menaçantes m’affligent[2].

TECMESSE.

Ajax, ô mon maître ! quel projet médite ton cœur ?

AJAX.

Ne cherche point à le pénétrer, ne m’interroge pas. La réserve est une vertu.

TECMESSE.

Hélas ! je perds courage ! Je t’en conjure au nom de ton fils, au nom des dieux, ne nous abandonne pas.

AJAX.

Tes prières m’importunent. Ignores-tu que je n’ai plus d’obligations envers les dieux ?

TECMESSE.

Ne blasphème pas.

AJAX.

Je n’écoute plus rien.

TECMESSE.

Seras-tu inflexible ?

AJAX.

Tu me fatigues de tes cris.

TECMESSE.

C’est que je tremble pour toi.

AJAX.

Qu’on l’emmène à l’instant.

  1. On croyait guérir certaines maladies ou certaines blessures par des charmes et des enchantements.
  2. Littéralement : « Ta langue aiguisée ne me plait pas. »