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puis-je, égorgeant ce parleur infatigable, cet odieux charlatan et les deux rois des Grecs, expirer moi-même après eux !

TECMESSE.

Quand tu fais de tels vœux, demande aussi la mort pour moi ; car comment pourrais-je vivre, si tu meurs[1] ?

AJAX.

(Strophe 4.) Ô ténèbres qui êtes ma lumière[2], Érèbe resplendissant à mon esprit, du moins recevez un nouvel habitant ; recevez-moi, car je ne suis plus digne de voir ni la race des dieux ni la race des hommes, pour moi désormais inutiles. La redoutable déesse, fille de Jupiter, me torture jusqu’à la mort. Où donc Fuir ? où trouver un asile ? Si tout cela a péri, ô mes amis, la vengeance me suit de près[3], et j’ai poursuivi une chasse insensée ; mais l’armée entière s’apprête à me percer de ses traits.

TECMESSE.

Infortunée ! faut-il qu’un homme de sens profère de telles choses, que jusqu’alors il n’eût osé dire !

AJAX.

(Antistrophe 4.) O fleuves qui coulez dans la mer, grottes baignées par les flots, prairies qui couvrez le rivage, assez et trop longtemps vous m’avez retenu devant Troie ; mais vous ne me verrez plus jouir de la lumière, non, vous ne me verrez plus. Que l’homme avisé comprenne. Eaux du Scamandre, voisines de notre camp, si favorables aux Grecs, vous ne verrez plus ce héros, je puis le dire avec orgueil, le plus grand des guerriers que la Grèce ait envoyés devant Troie ; aujourd’hui me voilà déchu, déshonoré !

  1. Didon, Énéide, IV, 606, dit aussi :
    Cum genere exstinxem, memet super ipsa dedissem.
  2. Stace, Thébaïde, I, v. 57, fait aussi parler Œdipe :
    Tuque umbrifero Styx livida fundo quam video.
  3. J’adopte la correction de Dindorf, éd. F. Didot :
    Τίσις δ’ὁμοῦ πέλει.