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une douleur cuisante pénètre jusqu’à la moelle de ses os, puis un venin mortel comme celui de l’hydre fatale dévore ses membres. Alors il appelle le malheureux Lichas, qui était innocent de ton crime, et lui demande par quelle trahison il lui a apporté cette tunique ; l’infortuné, qui ne savait rien, répond que le présent venait de toi seule, qui l’avais chargé de l’apporter. En ce moment, une convulsion violente déchire les entrailles d’Hercule, il prend Lichas par le talon[1], et le lance contre un rocher battu par les flots ; de sa tête entr’ouverte, la cervelle jaillit sur sa chevelure avec le sang. Tout le peuple jette un cri lamentable, à la vue de Lichas broyé et d’Hercule en délire, et personne n’osait l’approcher, il se roulait à terre, puis se relevait en poussant des cris aigus, qui faisaient retentir les rochers d’alentour, les montagnes escarpées des Locriens et les promontoires de l’Eubée. Enfin épuisé, l’infortuné, tantôt retombant à terre, tantôt jetant des cris affreux, maudit le funeste hymen qui l’unit à toi, malheureuse, et cette alliance avec Œneus, devenue le fléau de sa vie ; puis, levant ses yeux hagards et troublés[2], il m’aperçoit dans la foule où je fondais en larmes, et m’appelle : « Viens, mon fils, ne me fuis pas dans mon malheur, dusses-tu expirer avec moi ; enlève-moi de ces lieux, et surtout dépose-moi en un lieu où nul mortel ne puisse me voir ; mais si tu as quelque pitié, porte-moi au plus tôt loin de cette ile, ne me laisse pas mourir ici. » Après cette demande, nous le plaçons sur un esquif, et nous l’avons à grand’peine amené sur ces bords, rugissant au milieu des convulsions ; vous allez le voir tout à l’heure, ou vivant encore, ou venant d’expirer. Tel est, ô ma mère, l’attentat que tu as médité et accompli contre mon père ; puisse la Justice vengeresse, puisse Érinnys en tirer le châtiment mérité, s’il m’est permis de former un pareil vœu ! Oui, je le puis, car tu as la première violé tout devoir, en faisait périr

  1. Littéralement : « par le pied, là où s’attache l’articulation. »
  2. Le texte dit : « par la fumée : » sans doute celle du sacrifice. »