Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/42

Cette page a été validée par deux contributeurs.

fait succéder au calme dont nous jouissions ? Fille du Phrygien Téleutas, réponds, captive d’Ajax, toi qu’il aime et qu’il honore comme une épouse ; tu sais les faits et tu peux nous en instruire.

TECMESSE.

Comment donc raconter ce fait inouï ? Car ce que tu vas entendre n’est pas moins affreux que la mort. Cette nuit même, l’illustre Ajax s’est déshonoré par un honteux délire ; tu peux voir encore dans sa tente des victimes sanglantes, déchirées de ses mains, triste trophée de sa victoire.

LE CHŒUR.

(Strophe.) Quelle révélation tu m’as faite sur le bouillant caractère de ce héros ! nouvelle déplorable et pourtant trop vraie, propagée par les chefs des Grecs, et que grossit la rumeur populaire ! Hélas ! j’en redoute les suites fatales. Il ne peut manquer de subir la mort, celui qui, d’une main furieuse et d’un glaive sanglant, a égorgé à la fois les bergers et les troupeaux.

TECMESSE.

Hélas ! c’est d’ici qu’il est sorti, emmenant des troupeaux enchaînés ; les uns, il les renverse à terre et les égorge ; aux autres, il leur ouvre les flancs et les déchire. Puis, saisissant deux béliers aux pieds blancs, à l’un il arrache la tête et la langue, et les jette au loin ; l’autre, il le lie, dressé contre une colonne, avec une large courroie, il le frappe d’une double lanière, et le charge d’imprécations, qu’une divinité[1] ennemie a pu seule suggérer.

LE CHŒUR.

(Antistrophe.) C’est à présent donc qu’il faut, la tête enveloppée de voiles, nous dérober d’un pas rapide, ou prendre place sur les bancs d’un agile navire, et franchir la mer à force de rames ; tant sont vives les menaces des Atrides contre nous ! Je tremble d’expirer bientôt sous

  1. Le texte ajoute : « et pas un homme. »