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NÉOPTOLÈME.

Il ne vivait plus, ô étranger ; car jamais, de son vivant, je n’eusse été dépouillé de mes armes.

PHILOCTÈTE.

Qu’as-tu dit ? est-ce que, lui aussi, il est mort ?

NÉOPTOLÈME.

Sache qu’il ne voit plus le jour.

PHILOCTÈTE.

Ah ! malheur à moi ! Mais ni le fils de Tydée, Diomède, ni le fils impur[1] de Laërte, il n’y a pas à craindre qu’ils soient morts, eux qui n’étaient pas dignes de vivre !

NÉOPTOLÈME.

Non certes, sache-le bien ; mais ils sont aujourd’hui très-florissants dans l’armée des Grecs.


PHILOCTÈTE.

Et mon vieil et brave ami, Nestor de Pylos, existe-t-il encore ? Lui du moins entravait leurs desseins pervers par ses sages conseils.

NÉOPTOLÈME.

Il vit aujourd’hui dans l’affliction, depuis qu’Antilochos[2], son fils, qui était devant Troie, est mort.

PHILOCTÈTE.

Hélas ! tu m’annonces la perte également douloureuse des deux hommes dont j’aurais le moins voulu apprendre la mort. Hélas ! hélas ! quelle justice donc attendre des dieux[3], lorsque de tels héros périssent, et qu’Ulysse vit

  1. Littéralement : « le fils de Sisyphe acheté par Laërte. » On disait qu’Anticlée avait été la concubine de Sisyphe, roi de Corinthe, et qu’elle était enceinte quand Laërte l’épousa.
  2. Sur la mort d’Antilochos, voir l’Odyssée, III, v. 111 ; IV, v. 188 : Pindare, Pyth. XI, v. 28 et suivants.
  3. Τί δῆτὰ δεῖ σκοπεῖν ; le sens de ce passage est donné dans ces paroles des Suppliantes d’Euripide, v. 301-2 : « Je t’engage, mon fils, à considérer avant tout ce que tu dois aux dieux. » Un peu plus loin, Philoctète développera sa pensée, vers 446-450.