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fois, j’accuse moins Ulysse que les Atrides[1]. Car une ville, comme une armée entière, dépend de ceux qui la gouvernent ; et ceux des mortels qui font le mal deviennent criminels par les leçons de leurs maîtres. J’ai tout dit : que celui qui hait les Atrides soit l’ami des dieux et le mien !

LE CHŒUR.

(Strophe[2].) Toi qui te plais sur les montagnes, Terre[3] qui nourris tous les êtres, mère de Jupiter, qui habites les rives du Pactole au sable d’or, là aussi je t’invoquai, ô mère vénérable, quand les Atrides firent au fils d’Achille un sanglant affront, en le dépouillant des armes de son père, honneur suprême donné au fils de Laërte ; ô déesse assise sur un char traîné par des lions qui tuent les taureaux !

PHILOCTÈTE.

Étrangers, à vos malheurs, je vous reconnais pour mes hôtes[4], et dans votre récit, si bien d’accord avec mes sentiments, je reconnais les œuvres des Atrides et d’Ulysse. Car, je le sais, sa langue est un instrument de fraude et de scélératesse, dont il ne peut tirer, en définitive, rien que d’injuste. Du reste, aucun de ces faits ne me surprend ; mais je m’étonne que le plus grand des Ajax[5], en les voyant, les ait supportés.

  1. Littéralement : « Ceux qui ont le pouvoir. »
  2. L’antistrophe se trouvera plus loin, au vers 606.
  3. La Terre ou Cybèle était adorée à Lemnos, ainsi qu’en Lydie, où coulait le Pactole, dont il est question plus bas. Elle avait un temple à Sardes : Hérodote, L. V, 102. — Dans les Suppliantes d’Eschyle, v. 890-2, le Chœur invoque aussi la Terre, ὢ ματηρ Γῆ.
  4. Littéralement : « vous avez abordé vers moi, apportant un symbole manifeste de douleur. » Les hôtes se reconnaissaient à un σύμβολον qui se partageait, et dont chacun gardait la moitié. Dans Médée, v. 613, « je suis prêt à envoyer des σύμβολα à nos hôtes qui se traiteront bien. » V. Alceste, 562 ; le Pœnulus de Plaute, V, 2. Sur la tessera hospitalis, on peut consulter un traité de Tommasia, dans la collection de Grævius.
  5. Il y avait deux Ajax, celui-ci était fils de Télamon, et l’autre fils d’Oïlée.