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rien faire par un lâche artifice, ni moi, ni celui qui, dit-on, me donna le jour[1]. Mais je suis prêt à emmener Philoctète, en employant la force, et non la ruse ; car ce n’est pas avec l’usage d’un seul pied qu’il triomphera de nous, si nombreux. Ma mission, il est vrai, est de t’aider, mais je redoute le nom de traître ; et j’aime mieux échouer avec honneur que de vaincre par une déloyauté.

ULYSSE.

Fils d’un père généreux, moi aussi, quand j’étais jeune, j’avais la langue paresseuse et le bras prompt à agir ; mais aujourd’hui, instruit par l’expérience, je vois que, chez les mortels, c’est la langue et non le bras qui gouverne.

NÉOPTOLÈME.

M’ordonnes-tu donc de mentir ?

ULYSSE.

Je te dis qu’il faut prendre Philoctète par ruse.

NÉOPTOLÈME.

Pourquoi la ruse plutôt que la persuasion ?

ULYSSE.

La persuasion n’obtiendrait rien, pas plus que la violence.

NÉOPTOLÈME.

A-t-il donc dans sa force une telle confiance ?

ULYSSE.

Il a des flèches inévitables et qui lancent au loin la mort.

NÉOPTOLÈME.

Il n’est donc pas sur de l’aborder ?

ULYSSE.

Non, si l’on n’emploie la ruse, comme je te le conseille.

  1. Allusion aux paroles d’Achille dans l’Iliade, ch. IX, vers 312 : « Je hais à l’égal des portes de l’enfer l’homme qui cache sa pensée au fond de son cœur, et qui dit le contraire de ce qu’il pense » — Achille avait eu Néoptolème de Deidamie, fille du roi de Scyros.