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LE MESSAGER.

Frappée d’une profonde blessure, elle embrasse l’autel, et ferme ses yeux mourants , après avoir déploré la glorieuse mort de Mégarée[1] et celle de son second fils ; enfin elle a lancé des imprécations terribles contre toi, meurtrier de ses enfants.

CRÉON.

{Strophe 2.) Hélas ! la frayeur me bouleverse. Que tarde-t-on à me percer le sein d’un glaive à deux tranchants ? Ah ! malheureux ! je suis en proie à un sort fatal.

LE MESSAGER.

Elle t’accusait en mourant d’être l’auteur de la mort de ses deux fils.

CRÉON.

Et de quelle manière est-elle morte ?

LE MESSAGER.

En se frappant elle-même au cœur, de sa propre main, dès qu’elle apprit le sort lamentable de son fils.

CRÉON.

(Strophe 3.) Hélas ! je n’en puis accuser nul autre que moi-même. C’est moi, en effet, c’est moi qui t’ai donné la mort, je l’avoue. O mes amis, retirez-moi, enlevez-moi de ces lieux, moi qui ne compte plus parmi les vivants[2].

LE CHŒUR.

C’est là un avantage, s’il en est dans le malheur, car entre les maux présents, les plus courts sont les meilleurs.

CRÉON.

(Antistrophe 2.) Qu’elle vienne, qu’elle apparaisse, cette destinée dernière, amenant le plus beau de mes jours, celui qui sera le terme de ma vie ! Qu’elle vienne, pour que je ne voie plus d’autre jour !

  1. Mégarée est un autre fils de Créon, qui s’était dévoué pour le salut de Thèbes, par le conseil de Tirésias. Voyez plus haut, v. 993. Euripide (Phœniss., v. 911) donne à ce fils le nom de Ménécée ; mais Eschyle, dans les Sept chefs contre Thèbes, 474, l’appelle Mégarée, comme Sophocle.
  2. Littéralement : « moi qui ne suis pas plus que celui qui n’est pas. »