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CRÉON.

C’est que toute la race des devins aime l’argent.

TIRÉSIAS.

Et la race des tyrans aime les gains honteux.

CRÉON.

Sais-tu bien que tes discours s’adressent au maître de ce pays ?

TIRÉSIAS.

Je le sais ; car c’est à moi que tu dois d’en être le sauveur et le maître.

CRÉON.

Tu es un habile devin, mais tu aimes à faire le mal.

TIRÉSIAS.

Tu me forceras à révéler les secrets que je gardais au fond de mon cœur.

CRÉON.

Révèle tout ; seulement, que l’intérêt ne te fasse point parler.

TIRÉSIAS.

En effet, je commence à le croire aussi, l’intérêt me fait parler, mais c’est le tien[1].

CRÉON.

Sache que tu ne trafiqueras pas de ma volonté.

TIRÉSIAS.

Et toi, sache bien qu’avant que le char rapide du soleil n’ait achevé plusieurs tours de ses roues[2], par la mort d’un enfant né de ton sang, tu payeras à ton tour les morts par toi sacrifiés, pour te punir d’avoir ignominieusement enfermé dans un tombeau une âme vivante, et aussi de retenir sur la terre, privé de sépulture et des honneurs funèbres, un cadavre qui appartient aux dieux infernaux. Car ni toi ni les dieux du ciel n’avez aucun

  1. M. Berger donne à ce vers un autre sens, conforme à celui du scholiaste, en détachant τὸ σὸν μέρος du reste de la phrase, à laquelle il donne une forme interrogative. Le sens serait alors : « Ainsi donc, c’est là le motif qui me fait parler, selon toi ? »
  2. C’est-à-dire, dans peu d’instants.