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ISMÈNE.

Priveras-tu donc ton fils de celle qu’il aime ?

CRÉON.

C’est à Pluton qu’il est réservé de rompre ce mariage.

ISMÈNE.

Je le vois, ta résolution est bien prise de la faire périr.

CRÉON.

Comme tu le vois, elle est prise. C’est trop de retard, qu’on les emmène, que dès ce moment elles soient traitées en femmes, et privées de liberté[1]. Car les braves mêmes fuient, quand ils voient de près Pluton menacer leur vie.

LE CHOEUR.

(Strophe 1.) Heureux ceux dont la vie n’a pas senti le malheur ! En effet, ceux dont la colère des dieux ébranle la famille, le sort ne leur épargne aucun malheur et les poursuit dans leur postérité la plus reculée : telle la vague, gonflée par le souffle violent des vents de Thrace, parcourt les ténébreuses profondeurs de la mer, soulève jusqu’au fond de l’abîme le noir limon qu’elle livre aux vents , et les rivages battus des flots répondent par un long mugissement.

(Antistrophe 1.) Je vois les antiques malheurs de la maison des Labdacides s’ajouter aux malheurs des deux princes que la mort a ravis ; une génération frappée n’affranchit pas celle qui la suit, mais un dieu la précipite et ne lui laisse aucun repos. Naguère le jour brillait encore sur le dernier rejeton de la famille d’Œdipe ; cependant le voilà moissonné par la faux[2] sanglante

  1. Ceci indique suffisamment que la clôture des femmes était encore dans les mœurs grecques. Dans les Phéniciennes d’Euripide, v. 89, Antigone dit : «Jeune fille, je n’ose pas me montrer en public. » V. aussi Iphigènie à Aulis.
  2. Avec un grand nombre d’éditeurs, je lis κόπίς, glaive, que semble appeler le verbe ἀμᾷ, moissonner, au lieu de κόνις, poussière, dont l’explication serait ici très difficile. Cependant je dois mentionner l’ingénieuse explication que M. Berger donne de xôviç : « La poussière fatale répandue sur le corps de Polynice et par l’audacieux égarement d’Antigone, détruit ce dernier espoir. »