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ANTIGONE.

Prends courage ; c’est à toi de vivre ; pour moi, depuis longtemps, mon âme est morte, et je ne puis plus être utile qu’aux morts.

CRÉON.

De ces deux filles, je l’affirme, l’une a perdu la raison depuis peu, l’autre depuis qu’elle est née.

ISMÈNE.

O roi, c’est que la raison, même la plus saine, ne reste point aux malheureux, mais elle les abandonne.

CRÉON.

Toi, par exemple, quand tu as choisi le mal, en compagnie des méchants.

ISMÈNE.

Oui, car seule, et sans elle, comment pourrais-je vivre ?

CRÉON.

Elle ! ne la nomme point ; car elle n’existe plus.

ISMÈNE.

Mais feras-tu périr la fiancée de ton propre fils ?

CRÉON.

Il trouvera d’autres femmes pour continuer notre famille[1].

ISMÈNE.

Ce n’était pas là du moins, l’accord réglé entre elle et lui.

CRÉON.

Moi, je hais pour mes fils de méchantes épouses.

ISMÈNE.

O cher Hémon, avec quel mépris te traite ton père !

CRÉON.

Tu me fatigues par trop, toi et ton hyménée.

  1. Littéralement : « D’autres ont aussi des champs labourables. » L’emploi de la même métaphore, prise de l’agriculture, et appliquée à la génération des enfants, se retrouve aussi dans Œdipe Roi, v. 1210, αἱ πατρῷαί ς´ ἄλοκες, les sillons paternels, et v. 1256-7, μητρῴαν ἄρουραν τέκνων, le champ maternel des enfants.