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frappés l’un par l’autre. L’armée des Argiens ayant pris la fuite cette nuit même[1], je n’ai rien appris depuis, qui me rende ni plus heureuse, ni plus malheureuse.

ANTIGONE.

Je le savais bien, et je t’ai appelée hors du palais, pour que tu entendes seule ce que j’ai à te dire.

ISMÈNE.

Qu’y a-t-il donc ? car, je le vois, tu agites quelque pensée dans ton esprit.

ANTIGONE.

Eh quoi ! Créon, après avoir accordé à l’un de nos frères les honneurs de la sépulture, n’en a-t-il pas indignement privé l’autre ? Il a, dit-on, enseveli Étéocle dans la terre, ainsi qu’il était juste, et conformément aux lois[2], et lui a assuré une place honorable aux enfers parmi les morts[3] : mais l’infortuné Polynice, il défend aux citoyens d’enfermer son cadavre dans une tombe et de le pleurer ; il veut qu’il reste privé de regrets, privé de sépulture, en proie aux oiseaux dévorants, qui en feront leur pâture. Tels sont les ordres que la bonté de Créon te signifie ainsi qu’à moi, oui, à moi-même ; et lui-même viendra, dit-on, en ces lieux, les proclamer à ceux qui les ignorent ; et ce n’est pas pour lui chose de peu d’importance, mais il menace quiconque les violera, d’être lapidé par le peuple. Te voilà informée des faits ; bientôt tu montreras si tu as de nobles sentiments, ou si tu démens ta naissance.

ISMÈNE.

Mais, malheureuse, si les choses en sont là, que

  1. On voit par là que la pièce commence au point du jour, le lendemain du combat d’Étéocle et de Polynice, et que pendant la nuit, l’armée des Argiens a levé le camp. Le premier Chœur va chanter le lever du soleil.
  2. Ce vers a été retranché dans l’édition de Dindorf.
  3. Ceux qui n’avaient pas reçu les honneurs de la sépulture étaient condamnés à errer sur les bords du Styx, comme on le voit dans l’Enéide, VI, v. 337 et suivants.