Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/303

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quant au fait que Sophocle fut réellement général une fois dans sa vie, il est attesté, non-seulement par son biographe anonyme, mais aussi par un grand nombre d’historiens. Il fut collègue de Périclès, comme stratège, selon Plutarque {Vie de Périclès, c. VIII) ; Cicéron (de Offic., I, 144) ; Valère Maxime (IV, III, 1). Nous lisons dans Pline (Hist. nat., XXXVII, 2) : « Sophocles tragicus poeta, tanta gravitale cothurni, et praeterea vitae fama, alias principe loco natus Athenis, rebus gestis, exercitu ducto...» Plusieurs même indiquent que le commandement de Sophocle tombe dans la guerre de Samos. Strabon (XIV, 18) : « Les Athéniens ayant envoyé Périclès stratège, et Sophocle le poète avec lui, maltraitèrent dans un siège les Samiens révoltés. » Le scholiaste d’Aristophane, sur la Paix (v. 696), parle aussi de son expédition de Samos. Suidas, au mot Mέλιτος, dit : « Ayant commandé pour les Samiens, il combattit sur mer, contre Sophocle, le poète tragique, dans la quatre-vingt-quatrième olympiade. » Enfin, nous lisons dans Athénée (1. XIII, p. 603) : « Le poète Ion, dans le récit de ses voyages, a écrit : « Je rencontrai le poète Sophocle à Chios, lorsqu’il faisait voile vers Lesbos, en qualité de général. »

Du reste, il ne faut pas oublier qu’à Athènes, les dix stratèges n’étaient pas seulement les commandants des troupes, mais qu’ils étaient employés aussi à l’administration des affaires publiques, et dans les rapports qu’on entretenait avec les États étrangers.

Pour ce qui est du motif qui fit élever Sophocle à ce poste important, il est assez probable que la poésie si riche, si élevée, si touchante de la pièce n’était pas l’unique mérite que les Athénien applaudissaient dans Antigone. On oublie trop le côté politique de la tragédie grecque, bien que ce ne fût pas là son caractère essentiel. Remarquez en effet avec quel soin particulier et de quel ton grave l’auteur expose (v. 175-190) des règles de gouvernement, des maximes sur les devoirs d’un citoyen, et sur l’obligation imposée au chef de l’État, de sacrifier ses amitiés particulières à l’intérêt public. Démosthène, dans son discours sur les prévarications de l’ambassade, a cité tout ce passage ; et il ajoute que ce sont non-seulement de beaux vers, mais qu’ils sont pleins de conseils utiles aux Athéniens. Plus bas (v. 659-676), le poète attaque l’anarchie, il recommande l’obéissance aux lois, la soumission aux magistrats ; de la stricte observation de ce devoir dépend le salut de l’État, comme l’insubordination de quelques-uns peut amener la perte de tous. De plus, tout en prenant dans cette pièce la défense des lois divines et du culte dû aux dieux infernaux , ce qui fait du dévouement d’Antigone, non-seulement un acte de piété fraternelle, mais aussi un acte essentiellement religieux, Sophocle a su néanmoins traiter ce sujet avec tant de mesure, qu’il se garde bien de porter la moindre atteinte à l’autorité des lois civiles. Enfin, une autre cause qui a pu valoir à l’auteur la faveur populaire, c’est la haine