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moins craignez de souiller la lumière vivifiante de ce sacré Soleil, en exposant à tous les yeux cet objet impur que ni la terre, ni l’air, ni les eaux[1] ne peuvent plus recevoir. Faites-le donc rentrer au plus tôt dans le palais. Les parents doivent seuls être témoins des maux d’un parent, seuls ils peuvent entendre ses plaintes.

ŒDIPE.

Au nom des dieux, puisque, trompant mon attente, tu payes de la plus généreuse amitié mes cruels outrages, écoute-moi, car c’est dans ton intérêt que je parlerai, et non dans le mien.

CRÉON.

Et quelle est la chose que tu désires si vivement obtenir de moi ?

ŒDIPE.

Chasse-moi au plus tôt de cette terre, en des lieux où je ne puisse converser avec aucun mortel.

CRÉON.

Je l’aurais fait, n’en doutez point, si je ne voulais auparavant consulter le dieu.

ŒDIPE.

Mais son oracle est assez manifeste, il a ordonné de faire périr le parricide, l’impie.

CRÉON.

Sans doute, il l’a dit ; toutefois, dans la situation critique où nous sommes, il vaut mieux l’interroger sur ce qu’il faut faire.

ŒDIPE.

Ainsi, vous le consulterez en faveur d’un malheureux ?

  1. Il y a dans le texte, « l’eau sacrée ; » ce qui a fait penser à quelques interprètes qu’il s’agissait ici de l’eau lustrale. Mais le reste de la phrase montre que Créon parle des éléments, que souille la présence d’Œdipe. Chez les Romains, le supplice des parricides réalisait cette sorte d’excommunication religieuse. Cicéron, pro Roscio Amerino, en a conservé la formule : « Insui voluerunt in culeum vivos, atque ita in flumen dejici. O singularem sapientiam, Judices ! Nonne videntur hunc hominem ex rerum natura sustulisse et eripuisse, cui repente cœlum, solem, aquam, terramque ademerunt ? »