Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

épouse, celle dont le sein maternel, après l’avoir porté, porta aussi ses enfants. Dans sa fureur, un dieu la lui montra, car ce ne fut aucun de nous qui étions là présents. Poussant de grands cris, et comme si quelqu’un le guidait, il s’élance contre les portes, fait sauter les battants de leurs gonds, et s’élance dans l’appartement. Là, nous voyons Jocaste, encore suspendue au lien fatal qui a terminé ses jours : à cette vue, l’infortuné rugit comme un lion, et détache le lien funeste ; mais quand le corps de la malheureuse fut gisant à terre, alors on vit un affreux spectacle : arrachant les agrafes d’or de la robe qui couvrait Jocaste, Œdipe en frappe ses yeux, parce que, s’écriait-il, ils n’avaient vu ni ses malheurs, ni ses crimes, et que, désormais dans les ténèbres, ils ne verraient plus ceux qu’il ne devait point voir, ils ne reconnaîtraient plus ceux qu’il lui serait doux de reconnaître[1]. En parlant ainsi, il frappe et déchire à plusieurs reprises ses paupières ; en même temps ses yeux ensanglantés arrosaient son visage, et ce n’étaient pas seulement des gouttes qui s’en échappaient, mais c’était une pluie noire et comme une grêle de sang. Tels sont les maux communs à l’un et à l’autre ; c’est ainsi que l’époux et la femme confondirent leur infortune[2]. Heureux autrefois, ils jouissaient d’un bonheur mérité ; mais aujourd’hui, les gémissements, le désespoir, l’opprobre et la mort, aucune espèce de malheur n’y manque.

LE CHŒUR.

Et maintenant, l’infortuné a-t-il quelque relâche à ses souffrances ?

LE SECOND MESSAGER.

Il crie d’ouvrir les portes, et d’exposer aux yeux de tous les Thébains ce parricide, ce fils dont la mère... Je ne dois pas répéter ces blasphèmes. Il est résolu de s’exiler de cette terre, et ne veut plus rester dans ce

  1. Ses enfants.
  2. Ces deux vers sont rejetés par plusieurs critiques. Elmsley regarde le second comme une glose introduite dans le texte.