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ŒDIPE.

Que disaient-ils ?

LE BERGER.

Qu’il tuerait les auteurs de ses jours.

ŒDIPE.

Pourquoi donc l’as-tu remis à ce vieillard ?

LE BERGER.

J’en eus pitié, mon maître ; je crus qu’il l’emporterait sur une terre étrangère, dans sa patrie ; il l’a conservé pour les plus grands malheurs ; car si tu es celui dont il parle, tu es le plus infortuné des hommes.

ŒDIPE.

Hélas ! hélas ! tout est révélé maintenant. O lumière ; je te vois pour la dernière fois. Il est trop vrai ! par ma naissance, par mon hymen incestueux, par mon affreux parricide, j’ai violé les plus saintes lois de la nature.

(Il sort.)



LE CHŒUR.

(Strophe 1.) O race des mortels, combien, à mon sens, votre vie ressemble au néant ! car l’homme le plus heureux a-t-il plus que l’apparence du bonheur ? et encore cette apparence est bientôt évanouie ! Aussi, instruit par ton exemple et par ta destinée, ô malheureux Œdipe, je ne crois plus au bonheur d’aucun mortel.

(Antistrophe 1.) Dans l’essor de ta prodigieuse fortune[1], tu t’élevas au faîte de la prospérité[2] ; tu nous délivras de la vierge aux griffes crochues et aux énigmes funestes[3],

  1. Καθ᾿ ὑπερβολὰν τοξεύσας, « ayant visé au delà du but. » Déjà au v. 893, deuxième strophe du quatrième Chœur, nous avons vu θυμοῦ βέλη, les traits de la colère. — Horace a dit aussi, Od., l. II, 16 :
    Quid brevi fortes jaculamur ævo
    Multa ?
  2. ΅Ω Ζεῦ, ô Jupiter ! — Cette exclamation, jetée au milieu de l’antistrophe, explique le mot ἑκράτησε à la troisième personne, quand tout ce qui précède s’adresse à Œdipe.
  3. Le sphinx, qui avait la tête et la poitrine d’une femme, et que Corneille, et après lui, Voltaire appellent :
    Ce monstre à voix humaine, aigle, femme et lion.